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  • Réac, atrabilaire, mais non sans expérience le justifiant. Sens de l'humour permanent, mais hélas sens de la réalité qui s'échappe de jour en jour. Par contre, même houleux, j'aime bien les échanges de point de vue. Et sur tous les sujets.
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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 15:54

Chant huitième




À la gare de Fondartin, Tréphaïs se trompa de train, de quai, enfin de côté de quai du moins. Ceci dit, rien n'avait été élaboré dans le sens d'une logique dominante. Regardons-là qu'un individu normalement constitué - vous-même, somme toute -, aurait pu tout autant défendre les mêmes opinions de cette courte analyse, qu'il aurait également pu s'installer dans le mauvais train. C'est-à-dire, et là nous n'insisterons peu, mais tout de même, admettons que notre garçon, pour la destination qu'il avait choisi, fut tout à fait orienté vers un nébuleux quitte ou double. Ici, tout a été organisé - et j'insiste - pour que s'égare notre individu de base. Dans le hall de la station, votre destination est indiquée - de cela aucune carence de la part du service ferroviaire -, mais cette même destination est mentionnée, par exemple, sur le quai B, et justement, dans le cas qui nous préoccupe du reste, le fameux quai B comporte deux sens ; du moins deux côtés de quai, et les trains s'y présentant, de surcroît, empruntent des directions différentes ; ce qu'il y a de plus opposé, dirions-nous ! Fait totalement classique (vous l'observerez lors de votre prochain voyage en transport en
commun) : il ne faut pas s'endormir !
Bref, Tréphaïs dut quelque peu s'endormir pour son cas car, désirant se rendre à Pyrhe, il se retrouva à l'extrême littoral océanique, à La Demprée Imergée : opidum que certains nomment La Demprée Emergée - Signato Arassaline, en idalbais.
Lieu, pour l'heure, totalement inconnu de notre personnage, mais qui ne l'est plus depuis, nous pouvons vous l'assurer. Signato Demprée est un parfait idalbais coquin qui, de ses propres deniers pourtant, a fait construire un chemin de fer partant de la gare de Kankérieu jusqu'à ce lieu auparavant déserté qui, à présent, s'est transformé en véritable cité balnéaire. Quelques soixante dix lieux -convenez-là  de l'importance de cette opération !  Ces raisons furent et présentent encore une extrême curiosité dans l'esprit du peuple, voire même dans celui des dirigeants de ce même peuple.
Ce savant monsieur, non moins utopiste si ce n'est complètement farfelu, prétend qu'il lui sera aisé (lors qu'il aura regrossi ses finances), de prolonger la voie ferrée dont il est question au-delà de la terre ferme de notre continent, et ceci afin de joindre l'autre continent le plus proche ; ce dernier se situant toutefois aux antipodes. En deux mots, cet illuminé confirme avoir la connaissance secrète des moyens techniques pouvant faire circuler un train sur la surface de l'eau sans immersion, et sans aucun ouvrage de fondations sous-marines.
Voyez-vous cela !...
Personne n'est dupe de cette ineptie, mais, à La Demprée Imergée -entendons le lieu où le train est, pour l'instant, à son terminus -, tout le monde attend de voir ou de constater un jour l'échec de ce vil opportuniste.
En fait, notre futé scientifique, disons notre érudit très spéculateur, a ici royalement investi sur l'une des multiples et viles formes de l'âme : la curiosité ... Car, là où il arrêta son train miracle, Signato Demprée avait préalablement acquis pour peu tous les terrains proches, et même ceux plus éloignés. L'événement ainsi que la curiosité, dis-je, firent le reste ; à savoir le bénéfice de son opération. À ce jour (celui de la visite accidentelle de Tréphaïs), les curieux donc, les estivants ainsi que les plus formels intéressés affluent de partout, et le commerce local bat son plein. De là, les terrains peuvent et continuent à être construits, loués ou vendus au supposé meilleur prix…
Au demeurant, cette fourmilière d'activités de nature diverse conserve un certain charme ; du reste, Tréphaïs n'est pas immédiatement attristé de son erreur d'aiguillage. Ici, les gens semblent en dehors de la froideur qu'ils manifestent, de coutume, au sein des villes plus sérieusement édifiées. Ici, les échoppes, les étales et les estaminets, sont quasi les uns sur les autres. Chacun d'eux pratique tant des tarifs différents qu'ils nous assourdissent tant de bruits différents. Le train se stationne sur la place centrale, là, sans arrêt butoir ni même sans quai et sans gare : c'est la fin de son parcours ! Etrange ! pense Tréphaïs. Le rivage n'est qu'à quelques mètres, et il constate peu à peu les raisons précitées de cette agglomération paraissant en liesse perpétuelle. Dame, un fatras de populace euphorisée sans motif !... Pourtant, les hommes courent après les femmes, les femmes se laissent attraper des hommes, les bicyclettes roulent, les enfants veulent chanter - en fait, ils hurlent, et aussi fort que les poissonniers beuglent. À un endroit, un gros cèdre à douze troncs s'emmêle sur lui-même, et vers le ciel à n'en plus finir, au sol des rues et venelles pas un seul pavé ne semble présenter une couleur similaire à celle d'un autre pavé voisin, pas plus qu'il n'en copie la forme. Sur la plage, des rotondes, érigées dans un total irrespect de l'ordre géométrique, proposent à la vente toutes les mêmes produits : du papiers toilette, du papier à usage sanitaire divers et des mouchoirs jetables - donc également en papier. Tréphaïs ne s'interroge pas longtemps ; tous, à La Demprée Immergée, craignent d'énormément pleurer après avoir énormément déféqué. Parce qu'ici, la vie, pour l'heure, ce n'est que boire, manger et festoyer. De toutes les auberges et tavernes ornant les rues, et où Tréphaïs peut aisément trouver à se désaltérer, il ne sait pourtant laquelle choisir. Néanmoins, l'une d'entre-elles attire ses délicates oreilles. Un groupe de choristes et de talentueux musiciens y interprètent, à l'intérieur, la Norma de Bellini ; vous pouvez me croire, quelque chose de vibrant à l'écoute ! Hélas, toute cette euphorie classique s'estompe dès son arrivée. Elle fut, comment dire, unanimement interrompue, comme si elle n'eut en réalité qu'un caractère strictement privé. Notre jeune homme avait heureusement, lui, l'habitude de rencontrer ce type de béatitude superficielle ne désirant pas étendre sa spontanéité au profit de ceux qui demeurent des étrangers. Entendons-là, l'une des manifestations la moins noble et la plus égocentrique des comportements de l'humanité dans son détestable ensemble. De ce fait, Tréphaïs ne s'en alarme point, si ce n'est très peu ; passe l'eau cuite ou impure, sur ma main, sa trace ne pourrait être plus invisible qu 'elle ne le fut. À peine avait-il commandé un verre que les occupants du lieu s'échangèrent comme pour le passage d'un acte à un autre. Cinq costumés, cravatés, au mieux assortis et conscrits les uns aux autres vinrent épiloguer à outrance sur maints sujets, non sans intérêts peut-être, mais assurément beaucoup moins attrayants que l'avait été l'audition du mini orchestre ; ce dernier soudainement disparu. Leur sujet, parlons-en : chacun de son côté défendait ici, comme suprême, vitale, voire indispensable, l'activité qu'ils exploitaient de part et d'autre de la Demprée. Tréphaïs n'est pas commerçant, (il ne peut donc participer correctement aux débats) ; Tréphaïs, je le répète, aurait préféré écouter la Norma.
Son avis est sollicité. Avis sur quoi ?..., il se le demande. Civique et complaisant, il répondit par un blanc qui fut suivi de la plus délicate et indiscrète question ; disons, la question qu'il n'aurait pas dû poser.
À savoir encore, s'il était raisonnable d'espérer voir un jour le train s'élancer sur l'océan. Ici, derechef, les courroux fusèrent de toutes parts. Les plus hargneux défendirent la certitude que Signato Demprée détenait bien l'inédite technique à faire aller ce train où il le souhaitait, et qu'il ne s'agissait-là que d'une relative patience à respecter pour l'heure. D'autres ironisèrent en attestant la véracité du contraire, enfin, la plupart reconnaissaient, qu'à présent, il n'y avait plus aucune importance au miracle d'un train flottant, et que l'essentiel se situait davantage dans la réalisation de leur mini ville, où la prime attractive n'a d'égal que le bénéfice de l'hystérie de la dépense qu'elle sollicite. Autrement dit, curieux ou moins curieux, peu importe où l'on va, dès l'instant que l’on y va. Ce qui, somme toute, résume autant l'errance spirituelle d'une majorité d'individus que le peu d'intérêt, le peu de valeur que ces mêmes individus accordent à l'utilisation de leur temps. Tréphaïs, désespérément en quête de meilleurs constats venant de ses congénères, ne put, en dehors de sa tolérance non instinctive, accepter sans hargne que la stupidité se répande ici, comme à mille autres endroits du reste. Cependant, avant de repartir, il tenta de s'introduire dans la joie de certains, mais n'y parvenant qu'à faibles épisodes, il se réinstalla dans le train au départ et au retour du continent intérieur en méditant sa propre morale de cette escale. C'est-à-dire, qu'il soit pur ou vil, tout acte ne saurait être mieux cautionné que par une croyance aveugle et générale.

Laurent Lafargeas, 1978.

E04-09. ed.23.07.2008.

 

Les chants de Tréphaïs IX

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