Chant neuvième
Un grand jeune idiot se dressa au-dessus des autres ; il pivota comme mécaniquement son affreuse tête de hibou d'est en ouest en un rituel fort désagréable. C'était un impoliment laid, une erreur de la nature, aussi un outrecuidant, un pauvre type parmi les autres pauvres types. Exagérément fier, il s'avança vers le billot, prit la hache et la brandit de ses deux mains réunies juste au-dessus de la branche ; la dernière branche, la misérable branche qui avait résisté aux autres imbéciles. Puis, la face boutonneuse de l'idiot échappa un ignoble sourire d'autosatisfaction avant de décupler toutes ses forces pour rompre le bois.
Alors, s'en était fini de l'illustre chêne qui avait régné paisible ici, depuis des siècles sans jamais nuire en quoi que ce soit à cette absurdité humaine qui dévoluait à l'ombre de ses feuilles.
Ces meurtres quotidiens, ces crimes en série, tous ces sacrifices à la gloire du mensonge, au triomphe de la félonie, tous ces supplices : écimage, élagage, sciage, déracinage, Tréphaïs, en qualité de
porte-idée, ne peut se résoudre à les ignorer. Trop, ces ignominies jalonnent son chemin, et noircissent son environnement. Il faudrait qu'il réagisse, qu'il interrompe ce massacre, mais hélas son impuissance s'affirme à chaque nouveau décor, et, ce qui reste assuré pour lui, c'est que les nobles causes restent les moins faciles à défendre. Ce qu'il décide alors, lui l'adolescent de la colère, c'est de s'accompagner, à présent, du mépris et de la méthode.
Laurent Lafargeas (1978/04-10)