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  • Réac, atrabilaire, mais non sans expérience le justifiant. Sens de l'humour permanent, mais hélas sens de la réalité qui s'échappe de jour en jour. Par contre, même houleux, j'aime bien les échanges de point de vue. Et sur tous les sujets.
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23 juillet 2005 6 23 /07 /juillet /2005 15:46

Chant sixième





Ayant trouvé le sommeil là où il n'aurait pas dû être, c'est-à-dire sur la banquette d'un wagon régional, Tréphaïs le perdit assez tard, lorsque l'omnibus eut atteint son terminus. Il arriva donc totalement ailleurs et complètement loin de là où il aurait souhaité s'arrêter. Il arriva à Tragues, une très vilaine zone urbaine, constituée essentiellement de fort laides constructions abritant des femmes, des hommes, des enfants, des animaux, et surtout une quantité exorbitante de fonctionnaires.
La ville était en émoi. La cathédrale, l'unique bâtiment qui méritait le regard de chacun, souffrait pour l'heure d'une curieuse et inesthétique maladie depuis la veille. Intérieurement et extérieurement, les pilastres, les arcades, les voûtes, les ogives, les contreforts, presque tous les endroits de l'édifice, des parois de la crypte au sommet de la grande flèche, voyaient leurs pierres défigurées par la présence, en saillie, d'une quantité surprenante d'étranges sculptures ne ressemblant à rien, et paraissant avoir été façonnées dans un complet désordre par la main d'un mauvais ange, si ce ne fut celle du diable en personne. Excepté les animaux, tous dissertaient sur la catastrophe, aussi, non loin, dans une vaste salle municipale, les plus hauts technocrates devaient rencontrer les représentants du clergé local, ceci afin de convenir des remèdes à employer. Tréphaïs, curieux de nature, assista et participa à tous leurs débats. La houle, la hargne et la haine furent tout à fait du préambule. Elles rappelèrent que l'Eglise fut, dans le passé, ignoblement séparée de l'Etat, que ce dernier, par conséquent, devait seul assumer les charges de la réparation de cette triste avarie. Par ailleurs, la houle, la hargne et la haine ripostèrent en précisant que l’on avait que faire des offices, que notre siècle ne les imposait plus, et qu'uniquement les fortunes de l'épiscopat se trouvaient concernées par leur sereine continuité. Très vite, et dans la plus parfaite confusion, une envolée de poings fermés jaillit de toutes parts ; les femmes y ajoutèrent une défense d'objets parfois contondants à souhait, et l'abondance du sang mit un terme à cette première assemblée. Lamentable et fréquente situation lorsque les ânes s'adressent aux bœufs !
Hélas, les jours suivants furent tout aussi violents. Tréphaïs, étranger au problème, les deux yeux clos par une difforme boursouflure nuancée de vert, violet, jaune, à y bien regarder, aurait dû quitter la ville. Cet obstiné n'en fit rien ! Tréphaïs persévère, et c'est encore aussi sa nature. Enfin, au terme d'une semaine d'échanges corporels bien différents de ceux dits matrimoniaux, les citadins les plus pacifiques firent étrenner les premières vraies négociations. Il faut reconnaître que, de son côté, le mal de la cathédrale s'empirait. Même, de très éloigné, on la croyait vérolée !
Bientôt, vinrent de toutes les provinces voisines, des tailleurs de pierres, spécialistes en traitement et en pratique des plus anciens matériaux, des érudits de toutes les questions quant aux caprices de l'au-delà ; ce qui était la principale cause argumentée par nos clercs. Ces derniers affirmaient que Dieu, en colère et déçu du comportement mercantile des autochtones de Tragues, avait soudainement décidé qu'ils ne méritaient pas ni la magnificence, ni l'apaisante vue de sa maison. Ici, notons qu'ils n'avaient pas entièrement tort ! Bref, l'intervention de tous ces professionnels n'y changea rien. Autant les longues incantations nocturnes restèrent vaines, autant les différents ciselages au burin eurent le désagréable constat de l'effort inutile. Plus « l'intruse » - c'est de cette appellation dont fut attribuée la fameuse protubérance indésirable -, plus l'intruse, dis-je, était éliminée par la force réunie à la technique, plus elle réapparaissait le lendemain en ayant, de surcroît, fait considérablement fait fondre la surface minérale qui la supportait. Les conflits brutaux menaçaient de repoindre, vous vous en doutez ! Ici, je vous rassure, Tréphaïs sut garder ses distances, mais tout de même, il suggéra l'intervention d'un scientifique de renom, du reste très reconnu comme tel dans cette ville.
Il s'agissait de Timothée le pierreux, le plus habile, le plus expert en soins gothiques, (inutile de préciser là que notre cathédrale est perle de ce style). Si l'on avait donné la parole au peuple, sans conteste, il aurait majoritairement approuvé sa future intervention, mais tandis que les fonctionnaires n'osaient, de coutume, affirmer leurs ordonnances à venir de peur de se voir assaillis des foudres de la hiérarchie, autant nos moines réfutaient et s'opposaient encore violemment à l'intervention du pierreux, jugé, celui-ci, indubitablement débauché au regard des autorités cléricales. Il est vrai que l'homme évoluait, en dehors de ses activités rémunératrices, comme le plus notoire des épicuriens. La grasse ripaille, les vins italiens, ainsi que la variable compagnie des femmes, ne le plaçaient guère au rang de ses détracteurs. Il était « hors de questions que cet exemple de décadence humaine, que cet engeance de Satan, pénètre ni ne touche de sa langue la moindre pierre de notre église déjà suffisamment altérée », haranguaient ainsi les belliqueux séculiers du premier banc. Des hauts fonctionnaires, n'en parlons pas ; leurs raisonnements tout autant que les causes qui les animaient n'avaient plus place au centre de ces débats. Par contre, à l'extérieur, le plus souvent, le peuple attendait les remèdes indiqués. De cela nous le comprendrons - avec un peu de recherche dans nos âmes, n'est-il pas ?... Les autorités décidèrent alors d'employer la force publique. Ici, rien d'étonnant car, non seulement c'est l'attribution même d'une autorité, mais c'est de coutume le moyen qu'elle utilise immanquablement dans toutes les situations délicates. Ce fut donc une traditionnelle émeute maîtrisée par les coups, une multitude d'arrestations arbitraires, ainsi qu'une non moins arbitraire montagne de procès verbaux, vingt fois tamponnés au-delà des très ordinaires passages à tabac. Scénario classique, vous en conviendrez, lorsqu'une partie du peuple, légalement concernée, souhaite offrir son avis à un problème collectif !
Le dernier qui nous préoccupe, d'ailleurs, n'y trouva pas sa solution. Augmenté ainsi de ces nouveaux frais de procédure, le sinistre demeurait entier, et, nos hardis séculiers, aidés d'une foule fraîche et déterminée, réussirent à repousser l'intervention du fameux scientifique. Néanmoins, celui-ci put constater, encore sans l'approche nécessaire mais avec beaucoup d'expériences, la nature de la maladie affectant l'église ainsi que le nom avec lequel elle fut, dans le passé, déjà identifiée. Le rapport de Timothée le pierreux fut précis, du moins lorsqu'il entama la bouteille de Montepulciano, seul gage obtenu pour son déplacement. Il s'agissait de la pluri-sincérité ; pluri-sincérité aigue, ajoutait-il. Tous les symptômes la confirme, et en voici leurs descriptifs.   Les intruses observées sont à classer en quatre catégories correspondantes à quatre formes différentes : Le serpent, la boucle, la querelle et la meurtrière. Le serpent est en fait un serpent qui se mord la queue, ou qui se la mange selon d'où vient l'interprétation.
Il forme le chiffre huit (chiffre arabe, cela va de soi). Les précédentes études de ce virus affirment qu'elles sont les intruses maîtresses des autres, mais également très dépendantes des autres. Entendons-là qu'elles ne peuvent disparaître qu'après l'extermination totale des autres. Pour un serpent qui se mange la queue, c'est à peine logique !... Ensuite, nous avons la querelle, allongée et galbée dans sa partie haute comme un point d'interrogation. C'est l'affaire de l'Eglise car, pour guérir le bâtiment de cette plaie, il faudrait que toutes les questions que l'homme se pose en permanence au sujet de Dieu et de ses réels pouvoirs obtiennent de sincères réponses de la part des représentants de ce même Dieu (ici, il fallut encore user d'autorité pour endiguer le rire interminable du sage Timothée). L'analyse de la meurtrière le rendit moins hilare. Elle se sculpte d'un huit inachevé dans sa
verticale ; une sorte de esse à boucherie. Anéantir celle-ci n'est pas la plus mince opération. Pour ce faire, il s'agirait de voir défiler, à l'autel de la cathédrale souffrante, tous les commettants, tous les criminels, les uns après les autres, de les entendre avouer leurs méfaits, et de s'en humblement repentir. De là, l'intruse, d'elle-même, à chaque aveu, s'éclipsera à l'identique vitesse de son apparition. Timothée, avare d'optimisme à la guérison de cette catégorie de symptôme, suggérait, dans un premier temps, d'établir la comptabilité exacte des meurtrières de Tragues. Enfin, il en vint à décrire la dernière : la boucle. « La boucle est bouclée », ironisa-t-il, et ce fut sa conclusion... Celle-ci se présente encore comme un huit inachevé, mais cette fois-ci à l'horizontale. Presque un rond, voire un ovale dont les lignes culminantes se prolongeraient dans le vide, comme si l'on avait tenté de réaliser un cercle avec un fil de laine. De cela, notre connaisseur n'eut rien à préciser, si ce n'est que répéter que « la boucle est
bouclée », et que l'anéantissement de cette race d'intruse n'avait pas été mise au point par ses prédécesseurs en matière de traitement réellement efficace ; et voilà !...
Sur ses bonnes paroles, Timothée repartit, muni d'une seconde et honnête contenance de Montelpuciano, et, cette fois-ci, Tréphaïs quitta définitivement cette zone urbaine dont l’espoir d’accalmie s’avérait fortement compromis.

Laurent Lafargeas, 1978.

E04-07. ed.23.07.2008.

 

Les chants de Tréphaïs VII

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