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  • Réac, atrabilaire, mais non sans expérience le justifiant. Sens de l'humour permanent, mais hélas sens de la réalité qui s'échappe de jour en jour. Par contre, même houleux, j'aime bien les échanges de point de vue. Et sur tous les sujets.
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10 avril 2005 7 10 /04 /avril /2005 00:00

L’envers




« En observant le monde silencieux, l’homme inerte, stérile, sacrifié à lui-même, comme perdu dans cette part de l’infini, sans connaître celui qui l’y a déposé, inculte de sa fonction, ignorant de son devenir, inconscient de l' après sa mort,  et même inapte au savoir, je me torture d’angoisse comme un enfant que l’on aurait abandonné, évanoui dans un labyrinthe sans ciel, et qui ouvrirait l’œil sans être informé, ni même pouvoir deviner où il se trouve ; sans possibilité de s’échapper.
Et là, je m’extasie sur le pourquoi nous ne sommes pas en détresse d’une si pitoyable condition. »









L’être vivant n’est pas le propriétaire de lui-même. Un principe se situe au-dessus de lui. Qu’il soit terne ou lumineux, l’être vivant n’est qu’une manifestation, un maillon de l’unicité constituant l’univers : ledit principe. La prise de conscience de cette réalité le conduit inévitablement au désintéressement, autant de la majeure partie de lui-même que de tout ce qui pourrait en résulter. C’est alors l’indifférence, le détachement absolu, et même l’abandon de l’action, autant que du besoin auquel elle obéit. Ainsi, l’être vivant échappe aux alternances, aux vicissitudes et aux corruptions dont la nullité de l’existence est incurablement assortie. Lao-Tseu nomme cela la «grande paix du vide », et, c’est bien là, cette définition qui m’effraie. Malgré que j’adhère à la conception de cet ésotérisme indiscutable, je me refuse cependant d’en appliquer les disciplines, et toujours certainement à cause du vide. Dans la pratique, mon culte favori, c’est celui de mon ego car, paradoxalement, j’y trouve un espoir différent, mais je le répète, la réalité, c’est le vide. Par exemple,
ce récit n’en serait-il pas un ? Ne serait-il pas l’une des multiples formes de ce vide ?
Ne serait-il pas l’œuvre d’un égaré, une complète inaction active restant probablement inutile dans sa presque parfaite intégralité, puisqu’elle ne présente aucune histoire, aucune chronologie pourvue d’un début, ni même d’une fin . Ce récit n’est du reste que le portrait d’une de mes relations qui, de surcroît, n’offre rien de particulièrement insolite.
Autant là vous prévenir ! Dans l’immédiat, il n’a d’intérêt que pour moi-même ; peut-être alors comble-t-il un vide ?…
Considérez cependant, que si j’éprouve le besoin de vous le relater, c’est qu’il peut vous solliciter une réflexion, et je m’en persuade.
Je me justifie donc de n’abandonner personne dans l’ignorance, surtout depuis que je ne détiens plus le rôle principal dans le déroulement de mes occupations. Aussi, je tâcherai de joindre le maximum de détails à ce récit, à ce portrait, à cette relation...
Ici, j’en profiterai également pour me protéger d’une phrase toute faite qui tend à convaincre que d’écrire demeure une forme des plus acérées de l’égoïsme et du narcissisme. Quoique cela ne soit pas toujours injustifié !
Il est vrai que la plupart des érudits ou écrivassiers de notre temps laissent entrevoir, autant par leurs termes que par leurs comportements, le très haut respect qu’ils ont d’eux-mêmes ; ceci avant toute chose. Se persuadant détenir, de leur état, une mini pierre philosophale, ils s’attachent davantage à s’émanciper du langage populaire qu’à nous enrichir de leur stylo. Ainsi, ils constituent une élite supplémentaire, surélevée du commun, et qu’il conviendrait de nommer la «bourgeoisie du verbe ». De mon côté, je déplore toute assertion primaire, et je reste poli encore, courtois, révérencieux.
Ce qui se trouve bien au-delà de mes coutumes, mais s’affirme indispensable pour l’accomplissement de mes desseins : ceux qui ambitionnent, si vous l’acceptez, de composer votre propre expérience en toute quiétude, et sans influence (une expérience toute relative à la mienne bien entendu). En fait, lorsque je parle d’expérience, je suis dans l’erreur. Il s’agirait-là plutôt d’une banalité quotidienne, mais malgré tout vitale, à laquelle je me soumets volontiers depuis quelques années déjà.
Aujourd’hui d’ailleurs, ce n’est absolument plus cette relation qui me surprend, mais davantage ses devises qui m’exaltent. Néanmoins, les choses ont commencé bizarrement ; même si l’on admet que la notion du bizarre peut encore varier d’un esprit à un autre.
Ce qu’il y a de sûr, c’est que, pour l’âme, ce bizarre n’existe pas.
Ceci d’autant que, comme je l’ai dit plus haut, l’unique réalité digne d’être observée, c’est le vide.
 Enfin, laissons tomber ici la horde de mes certitudes et confusions, autant que mes tenaces et déplaisantes contradictions - ma partie la plus basse -, et attachons- nous plus directement au sujet de ce récit.
Ce sujet fut tout d’abord un objet. Un bel objet du reste !
Un vaste miroir galbé du XVIII ème siècle que j’avais acquis à la brocante d’Orléans. En ce qui concerne la glace intérieure, son origine n’avait rien de garanti, mais, le pourtour d’ébène, finement ciselé lui, m’avait bien été certifié d’époque.
J’adore les vieilles choses ! Ce qui explique peut-être le fait que je me prive parfois d’assistance.
Aussi, dès que le miroir entra chez moi, il eut une place d’honneur sur la paroi la mieux éclairée du salon.
Le peu de complaisance que j’entretenais avec ma conjointe d’alors me dispensa de sa consultation à cet effet ; ce qui ne fit qu’augmenter la valeur de mon action ; aussi, celle de l’objet, de surcroît !
Les deux ou trois premiers jours de sa présence, ledit objet ne m’inspira que de l’admiration. Il est vrai qu’il fournissait un peu plus de style au décor de l’appartement dont la vulgarité des formes hantait trop souvent mon éthylisme et mes divagations nocturnes. Toutefois, cette admiration devait engendrer très tôt une sorte d’aliénation qui, à son tour, fut substituée par de l’angoisse.
Je résume : habituellement, nous prenions tous nos repas au fond d’un angle exigu de la cuisine. Au-delà, peu à peu, ils se déplacèrent au salon. Aussi, mes travaux, mes lectures se firent auprès du miroir, jusqu’à mon sommeil qui transféra sa literie sur le canapé voisin de  toujours l’objet. Ici, également, le peu de raffinement que joignait ma partenaire à nos devoirs conjugaux ne fit certes guère obstacle à cet exode.
De jour en jour, le miroir exerçait sur moi une indescriptible fascination.
Ce ne fut pas une heure que je perdais devant cette glace, mais deux, quelquefois trois. Jusqu’ici, rien de cette exagération ne me sollicita de l’inquiétude. Parmi tous les comportements insensés que j’accumulais à cette époque, celui-ci demeurait encore l’un des plus anodins. De plus, ma nature appartenait au groupe de celles qui ne s’interrogent que lorsque cela en vaut la peine.
Là, ce n’était pas le cas !
Cependant, certaines préoccupations n’allaient pas tarder à s’installer dans mon esprit ; non pas sur l’attachement que j’avais pour ce miroir, mais davantage sur les formes de son contenu.
Mais que d’autre que mon propre reflet pouvait contenir ce miroir lorsque je le regardais ?
Rien, évidemment !
C’est donc ma propre image qui devait me soucier. Passons sur mon aspect physique qui se voyait-là grossit, bouffit, sans attraits, avant de devenir difforme.
Ici encore, il n’y avait naturellement pas matière à tourment ; mon état réel n’était, à son accoutumé, non davantage plus embelli.
Ce que ce reflet eut de plus déplaisant, c’est qu’il ne semblait plus être le mien. Du moins, pas celui qui correspondait immédiatement à mes propres mouvements lorsque j’effectuais ces derniers.
Je veux dire que, peu à peu, mon image, celle contenue à l’intérieur du miroir, paraissait vouloir quitter son rôle de reflet, et accomplir ainsi des gestes totalement indépendants des miens.
Il suffisait, par exemple, que je lève la main droite pour que l’image s’efforce de brandir la gauche.
Manifestement, elle cherchait à provoquer mon anxiété, si ce ne fut ma colère. Heureusement, elle ne devait pas y parvenir.
Toutefois, ma patience finit par s’évanouir.
Cette insolence, non moins surprenante puisque figurée par
moi-même, devait rapidement m’exaspérer.
Alors, sans laisser échapper le moindre soupçon à son égard, je convins d’analyser jusqu’où pouvaient se rendre les compétences insolites de ce soi-disant reflet.
Un soir, tandis que je passai et repassai, indifférent, deux ou trois fois devant le miroir en question, épiant ce dernier du coin de l’œil, je fis mine de disparaître soudainement du salon. En fait, je n’avais que fait le tour de l’appartement, afin de revenir à la hâte dans ce même salon par une autre porte, et de prendre ainsi mon reflet à revers. L’effet de surprise fut remarquablement réussi.
À peine me trouvai-je face au miroir, que j’y fus absent.
Tout l’ameublement proche y trouvait bien son image inversée, mais ma physionomie ne s’y voyait plus.
Curieux, vous en conviendrez !
Avais-je abusé d’alcool ?... « Peut-être » ! fut mon premier constat, mais une heure plus tard, toujours personne dans le miroir…
Etrange, la situation m’agaçait !
Ayant en vain dressé l’inventaire de toutes mes analyses rationnelles sur le sujet, je décidai de quitter les lieux.
Rien ne fut modifié pour autant !
De retour peu après la tombée de la nuit, mon reflet était toujours absent. Aussitôt, j’opérai un contrôle avec le miroir plus modeste de la salle d’eau. Celui-ci ne devait pas me contrarier de la même façon, fort heureusement !
Soulagé de me retrouver ainsi, j’en profitai pour m’améliorer le portrait un instant, mais en repassant vers le seuil du salon, j’aperçus le profil de mon reflet ; il n’avait pas quitté son cadre, et m’épiait sournoisement, dissimulé à l’intérieur de l’objet depuis que j’avais démasqué son indépendance surnaturelle.
Osant à peine lui signaler cette nouvelle découverte, je m’affairai à autre chose ; peu de temps, puisque avant même de lever les yeux dans sa direction, mon reflet réapparut entier, et comme le plus satisfait de nous deux.
 Ma stupeur fut, à cet instant, indescriptible. D’ailleurs, je devrais parler de frayeur plutôt.
Maintenant, je ne souhaitai plus me regarder. C’était entendu, ce reflet n’était pas à moi !
Ses yeux noirs et livides me fixaient, imperturbables !
Je frissonnai alors entre deux initiatives : celle de m’enfuir ou celle d’entamer une conversation.
Un paradoxe voulut que j’annule la première, mais j’avais peur ; une peur indéfinie et paralysante.
Pourtant, au terme d’une longue hésitation, j’interrogeai mon intrus :
- Qui es-tu ?
Sans réponse immédiate, le reflet pinça un rictus des plus cyniques, sans pour autant baisser la moindre paupière.
Je reculai de convulsion, et répétai ma question :
- Qui es-tu ?
Cette fois-ci, l’autre moi répondit aussitôt :
- Je suis ton reflet… Ton reflet inversé ; une sorte de contraire …

Dès ce jour, j’allais m’éparpiller, j’allais me confondre avec la fuite et la perversité de prolonger d’interminables dialogues, d’épiloguer sur maints débats m’alliant ou m’opposant à cet objet. D’ailleurs, il reste inutile qu’aujourd’hui je tente d’en établir une chronique ; elle ne pourrait être précise, et ne servirait à rien.
Toutefois, j’en ferai un résumé en indiquant qu’elle s’étendit sur plusieurs mois, et, comme un mælström paraissant infini, elle m’indisposa davantage qu’elle ne devait m’épanouir ; du moins pas avant son terme.
Ce fut une incontournable thérapie dont la pire des essences demeurait mon bon vouloir, mon consentement, si ce ne fut mon besoin.
En des termes plus simplifiés, je ne pouvais ici, dans mon appartement, éviter ce que j’avais probablement sollicité dans une autre vie.
Quoiqu’il en soit, le temps qui me sépare de cette première rencontre, et des émotions qui l’accompagnaient, m’oblige à penser maintenant que la colonne de l’invulnérable sur laquelle je m’étais juché bénéficiait d’une fondation trop précaire, fragile même, et qu’il restait inévitable qu’un jour elle ne s’effondre.
En effet, m’efforçant de vivre comme vivaient les empereurs romains, j’occultais, non sans subir les odeurs de l’amertume, les moindres autres émanations dites spirituelles de mon environnement.
Je me situais bien trop au-dessus de tous. Ce qui n’avantageait en rien l’aisance absolue dont chacun aspire !
J’acceptais difficilement le fait d’appartenir à cette humanité incapable de raisonnement, ni de sens logique. Je la niais, et m’en détachais le plus possible.
Également, afin de parfaire cette évasion, il fallait donc que je m’édifie comme une entité contraire au raisonnable universel, du moins de son état actuel. Ainsi, je m’entretenais dans l’espoir d’atteindre la perfection par l’unique fidélité envers mes critères personnels. La vérité ne me viendrait pas de l’extérieur ; au besoin, je devais l’inventer.
Mais, très tôt, je remis cette tâche à plus tard !
Pour mieux faire, il aurait fallu que je sache dans qu’elle matière orienter particulièrement mon excellence. En attendant, je fuyais l’ordinaire et le confortable en dressant un temple à mon outrecuidance, à mon cynisme ; en fait un mausolée de douleurs psychologiques, où s’entretenait la paresse, le négatif en somme …
De tout temps il y eut des marginaux, aussi beaucoup d’incompris, beaucoup de refoulés appartiennent à cette espèce d’individu traduisant la même hargne à l’encontre du conventionnel, de l’institutionnel, de la morale judéo-chrétienne, et de l’ordre tuteur indispensable au maintient de l’équilibre social. Mon cas n’évoluait donc pas unique !
Cependant, ce qu’il -  mon cas - détenait de particulier en ce sens, c’est que sans pour autant être totalement suicidaire, il demeurait au regret de tout, y compris de sa propre naissance. Assassinant l'existence, ce que la mienne avait été, ce qu’elle aurait pu être, je couvais impunément un élevage de stérilité autant matérielle que spirituelle. De ce fait, je m’isolais !
Là, inutile de vous décrire  l’assentiment exact de mon entourage. Personne ne pouvait me qualifier d’épave, d’erreur, mais j’acceptais que mon apparence vomitive n’encourageait pas à établir le contact. Là aussi, je me privais volontiers du déplaisir de ce dernier.
 De toute façon, il restait sans lendemain, car un individu sur mille échappe dix pour cent de positif dans sa conversation, et un sur dix mille peut vous enrichir dans les mêmes proportions, sans se croire obligé de vous asphyxier en grande part d’un long monologue, faux, immodeste et soporifique.
Je ne perdais donc rien ! Et, tous ces gens me fatiguent.
Ces gens vertueux de leur état fonctionnel, qui s’habillent selon un rôle, empruntant leur personnalité, au quotidien, à une vedette de cinéma ou à une auto-discipline leur paraissant adaptée à un mode de vie, non choisi, mais devenu respectable, satisfaisant, surtout convenable puisque répétitif, automatique, d’un mécanisme temporel étouffant leurs désirs qu’ils espèrent néanmoins pouvoir associer à leur liberté de fin de semaine. Et, en dehors de ce cadre bouillonnant de sécurité et de suffisance, certains pratiquent le christianisme, d’autres l’existentialisme en mode, d’autres le nègroïsme ; tous pratiquent, car pratiquer, c’est un peu comme agir, cela évite de penser, de réfléchir : la réflexion n’étant pas une action de jouissance matérialisable. Jouir, c’est avant tout l’estomac, le sexe ; pour le reste, on se laisse paresseusement guider par d’autres, marchands d’images, de bruits, vendeurs d’hypothèses, d’idéaux, de palliatifs que l’on dit intelligibles.
C’est là, et uniquement là que ce monde veut reconnaître et qualifier l’illusion. Pour lui, c’est lorsque cette illusion devient nécessaire, utile à distinguer la frontière entre la part du rêve qu’il s’accorde et la réalité que certains affectionnent - quand d’autres subissent parfois avec dégoût -, c’est uniquement là, dis-je, que l’illusion les concerne sans être prohibée.
Tous ces gens me fatiguent ! Les clients du bar-tabac qui se plaignent d’être mal payés, qui se plaignent de tout, et qui hurlent, et qui
boivent ; les bureaucrates qui rentrent tôt puisque inutiles ailleurs ; soignés par les mêmes docteurs, chaussés par les mêmes cordonniers, coiffés par les mêmes coiffeurs, emmerdés par les mêmes percepteurs ; les noirs persécutés par les blancs, et les blancs xénophobes, les ni noirs ni blancs, mais tout aussi racistes, et qui conjuguent de hargne facile leurs incompétences avec leurs origines ; les marginaux par convention ; les anticonformistes qui recréent des sectes avec des règles, avec des lois ; les intellectuels vaniteux qui se laissent pousser la barbe afin de paraître authentiques ; les apprentis intellectuels, mal rasés pour êtres identifiés comme tels ; les soi-disant dandys ou individualistes provocateurs ; les artistes de groupes ou d’associations qui revendiquent leur indépendance créative, mais qui, malgré tout, se sécurisent avec des idées communes ; les jolies filles qui le savent de trop, et qui s’en servent ; les plus laides et les plus grosses qui s’accommodent de leur état par excès de modestie ; ceux qui ne savent pas écrire, et qui donnent des ordres ; ceux qui ne font rien, puisqu’ils ne savent rien faire, mais qui s’accordent néanmoins de l’importance ; ceux qui crient la misère, mais qui entretiennent cependant un berger allemand, une maison à la campagne, deux véhicules à moteur et une belle-mère ; ceux qui se fardent de métissage en croyant qu’ils deviendront par là plus joviales ; ceux qui hurlent que le monde n’est pas à vendre, mais qui sont prêts à l’acquérir si on leur en donnait les moyens ; ceux qui se guérissent d’un mal d’amour aussi vite qu’un mal de dent ; ceux qui ferment leur cœur comme ils ferment la porte de la cuisine ; les sourires forcés, niais et permanents ; les fastueuses ; les luxuriantes ; les mercantiles ; les étiquettes faciles ; les points de repère, comme le haut de la chemise ouverte pour les écologistes, le gros cigare pour les affairistes, les jeans troués pour les opposants, le béret basque pour les militants, ou le bleu de travail pour les indifférents ; les montres au poignée ; les cheveux longs ; les perdus qui refusent de se retrouver ;
les complexés larmoyants ; les abandonnés d’une autre ou
d’eux-mêmes ; les épouses suspicieuses ; les amants ; les maris libertins ; leurs maîtresses ; les maîtresses des amants, ou encore les amants des maîtresses des maris ; leurs certitudes ; leur ridicule équilibre maintenu inutilement entre le sol et leurs deux jambes ; leur nombrilisme ; leurs besoins de consommation ; leur manière assurée d’utiliser les adjectifs ; leurs vêtements excentriques, tous tellement bariolés qu’ils en deviennent uniformes ; leurs musiques braillardes ; leur sensiblerie ; leur fétichisme ; leurs vacances d’été ; leurs parquets cirés ; leurs attachés-cases ; leurs idées reçues ; leurs conceptions médiatisées ; leur complaisance du faux ; leur accommodement du non vrai ; les arrivistes ; les persuadés ; les convaincus ; les paranoïaques ; les bornés ; les "moi je" ; les "je sais tout" ; tous les cent autres que j’oublie, et l’infernale ressemblance de leurs pensées, de leurs actes, de leur vie. Toute cette impuissance mentale, toute cette bonhommerie me faisait vomir à mon tour ; toute cette barbarie, devenue légion depuis des siècles qu’elle s’était émancipée par je ne sais quel miracle de son aspect sauvage, continuait inlassablement de considérer, sans scrupule, son évolution intellectuelle comme définitivement acquise. Le pire, c’est que, tout en ignorant qu’ils menaient une lutte perpétuelle, ils remplaçaient trop souvent le verbe vivre par le verbe gagner. Alors, je me félicitais de leur opposer constamment ma psychologie d’ivrogne, mon inaptitude au devoir ; de ce qu’ils attribuaient du seul mot dont ils étaient susceptibles de percevoir le sens : entendons-là, mon désordre.
Je n’avais pourtant pas eu d’enfance malheureuse, du moins souffrant d’aucun manque matériel. Au début de mon adolescence, mes parents divorcèrent, mais personne ne pourrait les accuser d’une quelconque influence, de cet acte, sur mon comportement affectif. Ma mère, je l’aimais, mon père, je l’admirais, et, de ce qu’ils me vouaient en retour, je me considère perpétuellement redevable. Disons que l’origine de ma dépression, je la couvais bien avant leur séparation.
En effet, depuis mon plus jeune âge, une répugnance m’envahissait au contact de toutes les collectivités assorties de discipline, et, comme celles-ci restaient quasiment inévitables, mon caractère insoumis ainsi qu’un mal-être permanent devaient s’amplifier d’année en année ; ceci
tout en s’opposant à l’ordre universel qui, à mon goût, ne devait favoriser qu’une élite d’avantagés sociaux, de procéduriers frileux pas plus concernés du devenir de l’humanité, supposé garanti, que de leur tout premier caleçon. En ce sens, l’autorité émise également par une même catégorie d’imbéciles développait systématiquement ma rébellion juvénile ; cette dernière très tôt affirmée comme l’unique protection de ma liberté menacée, et dont le péril restait évident.
La vie, je devais en jouir, et ne pas la subir ; dussé-je à décevoir !
Je n’étais pas venu au monde pour compléter un alignement de petits garçons peignés droits, frocqués justes, ni pour être compté le vingt quatre ou vingt septième d’une classe de trente élèves.
Si je devais participer à un jeu d’équipe comportant une quelconque organisation, je voulais être le seul à en fixer le règlement. Hélas, cela ne se produisait que trop rarement !
Tous mes camarades grandissants, s’adaptaient de mieux en mieux à ce qui était autorisé aussi bien que de ce qui ne l’était pas, tandis que je me marginalisais peu à peu face à un système punitif dont l’énormité ne semblait présenter aucune limite. Tout était dicté, codifié, encadré : le langage, le temps, les rapports entre les adultes, même les idées, les conceptions, aussi même Dieu, le Christ et ses apôtres nous étaient présentés selon une ordonnance déterminée, un calcul trop précis, et surtout une adipeuse sensiblerie visant à gérer, par l’émotion, toutes les facultés individuelles, ceci afin d’avorter dans l’œuf les esprits susceptibles des mêmes inventions. Décidément, le monde en général, toujours sans scrupule, après avoir épousé le vice dans son intégralité, s’était permis d’inventer le principe divin, et en plus, il voulait me l’imposer.
Dieu, s’il avait eu toute la part qu’on lui attribuait, s’il avait réellement créé quelque chose dans cet univers de mensonges et d’hypocrisie, pour moi, ce ne pouvait être qu’une poignée de filles de mon âge ; encore que pour certaines d’entre elles, il paraissait ne s’être occupé que de leur enveloppe extérieure !
Enfin, à travers cette idée de masse, il demeurait évident que la civilisation qui m’avait vu naître avait eu et aurait toujours besoin d’un mode d’emploi assorti de sanctions afin de se préserver des excès de l’individualisme et du débordement anarchique, mais, si elle devait se garantir de la sorte des abus de chacun, et si chacun même n’était pas capable de s’auto-discipliner, je n’y étais pour rien.
Ce n’était pas mon problème !
D’autant que certains, sous le couvert d’une hiérarchie injustifiée, profitaient sans gêne de leur statut immérité pour se comporter comme de véritables despotes, pratiquant aisément la terreur à leur avantage là où ils avaient été mandatés pour veiller au respect d’une simple rigueur ; entendue toute relative à leur incapacité. C’est donc naturellement que les réactions méprisantes des adultes à mon égard se heurtaient en permanence au garçon légalement insociable que j’étais. L’un de ces adultes pourtant m’expliqua un jour, qu’en majorité, seuls les imbéciles peuvent être heureux, et, m’ayant estimé ne pas appartenir à cette catégorie d’individus, il ajouta ensuite, et avec beaucoup de déception, que, pour moi, ce serait le malheur. Ignorant la signification exacte de ce dernier mot, j’acceptais néanmoins la certitude de ce professeur irrité par mon insoumission, sans pour autant la considérer comme un avertissement. Un autre également m’assura que l’homme était comparable à une embarcation généralement rattachée à une flotte ; c’est ce qui lui permettait de naviguer en toute quiétude, et, parce que, pour moi, la quiétude c’était l’ennui, je serais condamné à la dérive perpétuelle. Hélas, cet adulte, tout comme l’autre d’ailleurs, avait probablement raison, cependant, de là, mes actes, s’associant avec mon état d’esprit, commencèrent par se qualifier de bêtises, puis de conneries avant de prendre l’appellation de grosses conneries. Ainsi, peu à peu, de nouvelles locutions verbales vinrent encombrer mon vocabulaire, telle que « garde à vue »,
« détention provisoire », « levée d’écrou », etc…
Persécuté de la sorte, j’avais donc eu toute mon adolescence pour dresser mes remparts. À vingt ans, ils étaient devenus des murailles infranchissables ; hélas, autant de l’extérieur que de l’intérieur. N’ayant confié mon éducation à personne, adapté aux conflits de presque toutes natures, adulte à mon tour, j’étais aussi devenu invulnérable à toutes contrariétés affectives.
J’accusais, j’accusais, mais j’étais vaincu. Je critiquais, je haïssais, mais moi-même assurément, je n’avais pas emprunté le bon chemin.
Considérant à tort, et prématurément, que le monde je l’avais trop observé, je le jugeais impardonnable.
En bref, l’évolution collective me paraissait fort compromise.
Mon esprit devait donc s’élever inné, au-dessus de la masse ; il ne pouvait s’y confondre !
Sans avoir de haine particulière pour cette civilisation moderne, j’en éprouvais toutefois un certain mépris, mais ayant constaté que mes armes demeuraient faibles, insuffisantes, ayant identifié mon ennemi comme un gigantesque moulin à vent, je devins indifférent ; en fait, je baissais les bras !
J’osais à peine élaborer une stratégie en vue de la destruction de ce monde ; de toute façon, pour tous ces couillons, si je les avais envoyé dans l’au-delà, cela aurait été encore trop près.
À défaut donc, j’avais commencé par ma propre destruction.
Dans ce choix difficile, la proximité du sujet m’avait aidé, sans aucun doute, mais davantage mes principaux associés dans cette opération furent l’oisiveté, le Château-Laffitte 1973, et le manque d’esprit assurément.
Je ne saurais dire si mon comportement fut tout d’abord incapable avant de devenir lamentable, ou si ce fut un moment la timidité qui constitua l’origine de mon éthylisme, devenu à peine supportable pour mes proches, mais le résultat demeurait identique : le foie restait la seule partie de mon être capable de créer une activité, et, comme son accoutumance aux alcools s’harmonisait parfaitement avec l’auto-rétrécissement de mon bon sens, ma décadence se développait aisément, pitoyable, et en toute impunité. Ce que j’avais beaucoup de mal à supporter toutefois, c’était le regard des autres.
Disons que je le percevais souvent comme un affrontement m’enjoignant la nécessité de me justifier : une désagréable sensation d’avoir des comptes à rendre. De ce fait, je m’isolais…
Inutile, ici, de vous décrire l’assentiment de mes proches.
Enfin, ma déprime vint du fait qu’aucune issue ne me paraissait envisageable. Seul, l’affrontement était indispensable, mais isolé de la sorte, au milieu d’une fourmilière aussi dangereuse qu’agressive, ma cellule fragile, constamment en état de défensive, s’affaiblirait tôt ou tard.
De cela, et tout le reste, mon reflet le savait déjà.
En principe, il était moi !
 Mais l’emphase qu’il joignait à ses propos l’opposait totalement à cette idée. De plus, malgré toute l’élégance de son terme, il ne devait cesser de déstabiliser mes dires, et de critiquer mes actes.
- Tu te déplaces noble, si nous l’admettons… Mais à ton encontre, le silence s’agite. Tu es libre, certes, mais qu’en fais- tu ?
Ton insolence va nous ruiner … Ici, apprends qu’une image ne peut traduire l’insolence ; encore moins l’image d’un reflet. Désolé pour toi, voici le temps de voir. 
- Voir quoi ? Que cherches-tu à m’apprendre ?
- Je n’ai pas les qualités d’enseignant, je n’ai que des choses à te dire ; beaucoup de chose à te dire peut-être… Depuis quelques jours, je t’observe, et là j’ai vu que tu perdais ton temps, j’ai vu que tu étouffais tes richesses, que tu asphyxiais tes compétences, j’ai vu que, malgré tes tentatives à devenir le sanctuaire de toi-même, malgré ton jeune âge, tu demeures, immuable, le vestige d’un homme : une dérogation qui erre, depuis des années sans doute, dans le déambulatoire des convoitises ; un refaiseur de monde qui n’a jamais su se servir d’une truelle… Je ne suis pas encore ta crypte, je te l’ai dit, je suis ton contraire, et, de surcroît, d’une parfaite symétrie.
Tu peux tenter de me briser ou de me revendre, j’en ai l’habitude. Dans d’autres cas, jamais il ne te sera possible d’éviter ma conversation. Il ne s’agit pas là d’obscures et glaciales confidences, ni de noires révélations ayant pour dessein de solliciter ta peur, tranquillise-toi, j’ai simplement quelques éclaircissements à t’apporter quant à une évidence que tu as négligé jusqu’à présent : celle de te connaître vraiment.

Ici, mes réflexions s’isolèrent de cette arrogance. Je pensais à revendre l’objet comme lui-même m’invitait à le faire, et, me confortant derrière l’éventualité de cet acte, je pourvus mon dialogue d’une certaine accalmie. Ce qui laissa une place considérable au paradoxe de ma réponse.
- Si je suis le vestige d’un homme comme tu le prétends, sache que ma volonté y a sa part. Etre un homme ne m’a pas encore été présenté comme une situation lumineuse, et j’en suis à peine navré. Vois-tu, j’aspire à autre chose : quelque chose de plus réfléchi, quelque chose de plus noble peut-être. Aussi, ma place n’est certes pas dans l’Olympe, mais je ne crois pas que tu sois celui de nous deux le mieux situé pour évoquer l’insolence.
Y ayant mis le prix, il me semble avoir acheté un miroir, et non un conseil. Toutefois, y ayant mis le prix, dis-je, je me contenterai de l’ensemble : de l’objet et de son orateur. 

Ici, rien de l’attitude dudit reflet ne m’accommoda.
Je repris sans m’attarder sur les effets provocants de mon ironie.
- Tu dis me voir errer. Certes, cela n’est pas faux ; je te l’accorde. Mais, ce n’est pas sans une autre richesse qu’il serait bon que tu analyses davantage. Si mon état est insuffisant, c’est que tout ce qui constitue son environnement est insuffisant. Je n’ai aucune croyance en Dieu pas plus qu’à une autre quelconque unicité, mais je conserve cependant l’idée que, depuis les millénaires de notre dite évolution, rien nous oblige à nous conduire comme nous l’avons toujours fait, et, qu’en vertu de je ne sais quelle énergie supérieure entendue créatrice, il serait reconnaissant de notre part de lui rendre un jour une bienveillance beaucoup plus notoire. Pour ma part, je ne tiens pas à persuader cette oisiveté universelle qui, de surcroît, s’épanouit dans la stupidité à bien des endroits. En effet, je préfère demeurer à l’écart de ce quiconque pourrait nommer un individu parfait, puisque je suis convaincu n’être jamais, et malgré tous mes efforts, qu’un individu que partiellement imparfait.
En résumé, sache que si je t’apparais médiocre, c’est que je me refuse d’accepter les bons adjectifs émanant d’une collectivité qui, à mes yeux, n’offre assurément pas la compétence indispensable pour le faire. J’erre, c’est une réalité, mais c’est tout simplement parce que je ne suis pas à ma place. 

À ce moment, si mon adversaire ne paraissait pas convaincu, je restai de mon côté des plus satisfaits de ce que je venais d’exposer.
Me parler à moi-même, je l’avais déjà fait, bien entendu, mais à ce point, non ! Alors encouragé de mes propres arguments, je poursuivai :
 - Ce n’est pas une névrose que je traîne avec moi, ce sont des milliards de névrosés qui fourmillent autour de moi. Personne ne m’a confié la mission particulière de les endiguer, mais personne non plus ne m’a obligé ou ne m’a convaincu du bien fondé de cette médiocrité générale. Ne sachant pas vraiment à qui devrais-je un jour rendre des comptes, je préfère pour l’heure m’abstenir de tout acte pouvant être irrévérencieux à l’égard d’une entité que je suppose bien au-delà de cet humble constat que je m’impose en permanence.
Voilà pourquoi, être un homme ne m’emballe pas plus que cela.
Quant à mes convoitises, elles trouvent leurs sources un peu partout ; cela est encore vrai.
Mais là, je me permets d’affirmer que la convoitise reste l’un des propres de l’homme, au même titre que son rire idiot, sa peur de l’inconnu, son complexe d’infériorité, et ses manières de supériorité. La convoitise, c’est bien là ce dont j’hérite de mes congénères, c’est bien là, hélas, une faiblesse biologique que je n’ai pu exorciser.
Tu le disais toi-même, je suis encore jeune ; alors, rien n’est impossible en ce sens. Crois-moi, j’y veillerai, ne serait-ce que pour me parfaire, si ce n’est pour te plaire.
Enfin, si tes intentions s’orientent à dresser l’inventaire de mes défauts, de mes tares, de toutes mes dépressions, je t’aiderais à gagner du temps en t’informant, qu’outre mon détestable emprunt à la convoitise, je suis également sujet à l’alcoolisme, d’une vanité sans pareil, d’un égoïsme hors norme, et d’un narcissisme des plus pervers lorsqu’il manque de raffinement. Tu es mon reflet précises-tu !
alors te voilà un magnifique champ de bataille. Toujours est-il que tu sois mon reflet ou non, je ne chercherai pas à te persuader, ni même à entamer l’éloge de ma condition. Je l’accepte telle qu’elle est, avec sa tristesse, sa souffrance et sa désuétude parfois, mais rassure-toi, je n’en fais pas non plus mon enseigne. Pour toute félicité éventuelle, je ne couve que des hypothèses, et non de l’espoir. Ce dernier mot sonne encore burlesque à mes oreilles. Je m’en interdis donc son usage. D’ailleurs, sur le terrain des mots, je me refuse d’en devenir l’un des sujets. Ici, j’aspire à la neutralité. Il m’est plus séant d’être désagréable que de mimer une béatitude impersonnelle et grimaçante. La joie dans la soumission, le bonheur dans l’appartenance, je les laisse aux autres. Si un jour je dois agir, cela sera dans d’autres dimensions. 


 

suite... L'envers (2nd partie)

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