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  • Laurent
  • Réac, atrabilaire, mais non sans expérience le justifiant. Sens de l'humour permanent, mais hélas sens de la réalité qui s'échappe de jour en jour. Par contre, même houleux, j'aime bien les échanges de point de vue. Et sur tous les sujets.
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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 21:55

Dès que Petit Soleil et Heureux furent couchés, Chéri monta sur son excellent cheval blanc sans dire à personne où il allait, il  laissa seulement une lettre pour Belle Étoile, avec ordre de la lui donner à son réveil; et tant que la nuit fut longue, il marcha à l'aventure, ne sachant point où il prendrait la Pomme qui chante.

Lorsque la princesse fut levée, on lui présenta la lettre du prince, il est aisé de s'imaginer tout ce qu'elle ressentit d'inquiétude et de tendresse dans une occasion comme celle-là: elle courut dans la chambre de ses frères leur en faire la lecture, ils partagèrent ses alarmes, car ils étaient fort unis ; et aussitôt ils envoyèrent presque tous leurs gens après lui pour l'obliger de revenir sans tenter cette aventure, qui sans doute devait être terrible.

Cependant le roi n'oubliait point les beaux enfants de la forêt, ses pas le guidaient toujours de leur côté, et quand il passait proche de chez eux et qu'il les voyait, il leur faisait des reproches de ce qu'ils ne venaient point à son palais; ils s'en étaient excusés d'abord sur ce qu'ils faisaient travailler à leur équipage: ils s'en excusèrent sur l'absence de leur frère, et l'assurèrent qu'à son retour ils profiteraient soigneusement de la permission qu'il leur donnait, de lui rendre leurs très humbles respects.

Le prince Chéri était trop pressé de sa passion pour manquer à taire beaucoup de diligence, il  trouva à la pointe du jour un jeune homme bien fait, qui se reposant sous des arbres lisait dans un livre, il l'aborda d'un air civil et lui dit: « Trouvez bon que je vous interrompe, pour vous demander si vous ne savez point en quel lieu est la Pomme qui chante.» Le jeune homme haussa les yeux, et souriant gracieusement: «En voulez-vous faire la conquête? lui dit-il. - Oui, s'il m'est possible, repartit le prince. - Ha! seigneur, ajouta l'étranger, vous n'en savez donc pas tous les périls, voilà un livre qui en parle, sa lecture effraie. - N'importe, dit Chéri, le danger ne sera point capable de me rebuter, enseignez-moi seulement où je pourrai la trouver. - Le livre marque, continua cet homme, qu'elle est dans un vaste désert en Libye, qu'on l'entend chanter de huit lieues, et que le dragon qui la garde a déjà dévoré cinq cent mille personnes qui ont eu la témérité d'y aller. - Je serai le cinq cent mille et unième », répondit le prince en souriant à son tour, et le saluant, il prit son chemin du côté des déserts de Libye: son beau cheval, qui était de race zéphyrienne, car Zéphyr était son aïeul, allait aussi vite que le vent, de sorte qu'il fit une diligence incroyable.

Il avait beau écouter, il n'entendait d'aucun côté chanter la Pomme: il s'affligeait de la longueur du chemin et de l'inutilité du voyage, lorsqu'il aperçut une pauvre tourterelle qui tombait à ses pieds: elle n'était pas encore morte, mais il ne s'en fallait guère. Comme il ne voyait personne qui pût l'avoir blessée, il crut qu'elle était peut-être à Vénus, et que s'étant échappée de son colombier, ce petit mutin d'Amour, pour essayer ses flèches l'avait tirée. Quoi qu'il en soit, il en eut pitié; il descendit de cheval; il la prit; il essuya ses plumes blanches, déjà teintes de sana vermeil, et tirant de sa poche un flacon d'or où il portait un baume admirable pour les blessures, il en eut à peine mis sur celle de la tourterelle malade qu'elle ouvrit les veux, leva la tête, déploya les ailes, s'éplucha, et puis regardant le prince: « Bonjour beau Chéri, lui dit-elle, vous êtes destiné à me sauver la vie, et je le suis peut-être à vous rendre de grands services.

Vous venez pour conquérir la Pomme qui chante, l'entreprise est difficile et digne de vous, car elle est gardée par un dragon affreux, qui a douze pieds, trois têtes, six ailes, et tout le corps de bronze. – Ha ! ma chère Tourterelle, lui dit le prince, quelle joie pour moi de te revoir, et dans un temps où ton secours m'est si nécessaire ! Ne me le refuse pas, ma belle petite, car je mourrais de douleur, si j'avais la honte de retourner sans la Pomme qui chante: et puisque j'ai eu l'Eau qui danse par ton moyen, j'espère que tu en trouveras encore quelqu'un pour me faire réussir dans mon entreprise. - Vous me touchez, repartit tendrement la Tourterelle, suivez-moi, je vais voler devant vous, et j'espère que tout ira bien.»

Le prince la laissa aller: après avoir marché tout le jour, ils arrivèrent proche d'une haute montagne de sable: « Il faut creuser ici », lui dit la Tourterelle. Le prince aussitôt sans se rebuter de rien se mit à creuser, tantôt avec ses mains, tantôt avec son épée. Au bout de quelques heures il trouva un casque, une cuirasse et le reste de l'armure, avec l'équipage pour son cheval, entièrement de miroirs. «Armez-vous, dit la Tourterelle, et ne craignez point le dragon, quand il se verra dans tous ces miroirs, il aura tant de peur, croyant que ce sont des monstres comme lui, qu'il s'enfuira. »

Chéri approuva beaucoup cet expédient: il s'arma des miroirs, et reprenant la Tourterelle, ils allèrent ensemble toute la nuit: au point du jour, ils entendirent une mélodie ravissante. Le prince pria la Tourterelle de lui dire ce que c'était. «Je suis persuadée, dit-elle, qu'il n'y a que la Pomme qui puisse être si agréable, car elle fait seule toutes les parties de la musique, et sans toucher aucun instrument, il semble qu'elle en joue d'une manière ravissante.» Ils s'approchaient toujours; le prince pensait en lui-même qu'il voudrait bien que la Pomme chantât quelque chose qui convînt à la situation où il était: en même temps il entendit ces paroles:

L'amour peut surmonter le cœur le plus rebelle,

Ne cessez point d'être amoureux.

Vous qui suivez les lois d'une beauté cruelle,

Aimez, persévérez, et vous serez heureux.

« Ha ! s'écria-t-il, répondant à ces vers, quelle charmante prédiction, je puis espérer d'être un jour plus content que je ne le suis; l'on vient de me l'annoncer.» La Tourterelle ne lui dit rien là-dessus, elle n'était pas née babillarde, et ne parlait que pour les choses indispensablement nécessaires. A mesure qu'il avançait, la beauté de la musique augmentait: et quelque empressement qu'il eût, il était quelquefois si ravi qu'il s'arrêtait, sans pouvoir penser à rien qu'à écouter: mais la vue du terrible dragon qui partit tout d'un coup avec ses douze pieds et plus de cent griffes, les trois têtes et son corps de bronze le retira de cette espèce de léthargie; il avait senti le prince de fort loin, et l'attendait pour le dévorer comme tous les autres, dont il avait fait des repas excellents: leurs os étaient rangés autour du pommier où était la belle Pomme; ils s'élevaient si haut qu'on ne pouvait la voir.

L'affreux animal s'avança en bondissant; il couvrait la terre d'une écume empoisonnée très dangereuse; il sortait de sa gueule infernale du feu et des petits dragonneaux qu'il lançait comme des dards dans les yeux et les oreilles des chevaliers errants qui voulaient emporter la Pomme. Mais lorsqu'il vit son effrayante figure, multipliée cent et cent fois dans tous les miroirs du prince, ce fut lui à son tour qui eut peur: il s'arrêta, et regardant fixement le prince chargé de dragons, il ne songea plus qu'à s'enfuir. Chéri s'apercevant de l'heureux effet de son armure, le poursuivit jusqu'à l'entrée d'une profonde caverne où il se précipita pour l'éviter: il en ferma bien vite l'entrée, et se dépêcha de retourner vers la Pomme qui chante.

Après avoir monté par-dessus tous les os qui l'entouraient, il vit ce bel arbre avec admiration; il était d'ambre, les pommes de topaze, et la plus excellente de toutes, qu'il cherchait avec tant de soins et de périls paraissait au haut, faite d'un seul rubis, avec une couronne de diamants dessus. Le prince transporté de joie de pouvoir donner un trésor si parfait et si rare à Belle Étoile, se hâta de casser la branche d'ambre; et tout fier de sa bonne fortune, il monta sur son cheval blanc, mais il ne trouva plus la Tourterelle; dès que ses soins lui furent inutiles, elle s'envola; sans perdre le temps en regrets superflus, comme il craignait que le dragon dont il entendait les sifflements ne trouvât quelque route pour venir à ces pommes, il retourna avec la sienne vers sa princesse.

Elle avait perdu l'usage de dormir depuis son absence; elle se reprochait sans cesse son envie d'avoir plus d'esprit que les autres; elle craignait plus la mort de Chéri que la sienne: «Ha! malheureuse, s'écriait-elle en poussant de profonds soupirs, fallait-il que j'eusse cette vaine gloire? Ne me suffisait-il pas de penser et de parler assez bien pour ne faire et ne dire rien d'impertinent? Je serai punie de mon orgueil, si je perds ce que j'aime: hélas ! continuait-elle, peut-être que les dieux, irrités des sentiments que je ne puis me défendre d'avoir pour Chéri, veulent me l'ôter par une fin tragique.»

Il n'y avait rien que son cœur affligé n'imaginât, quand au milieu de la nuit, elle entendit une musique si merveilleuse, qu'elle ne put s'empêcher de se lever et de se mettre à sa fenêtre pour l'écouter mieux, elle ne savait que s'imaginer. Tantôt elle croyait que c'était Apollon et les Muses, tantôt Vénus, les Grâces et les Amours, la symphonie s'approchait toujours, et toujours Belle Étoile écoutait.

Enfin le prince arriva; il faisait un grand clair de lune; il s'arrêta sous le balcon de la princesse, qui s'était retirée, quand elle aperçut de loin un cavalier; la Pomme chanta aussitôt:

Réveillez-vous belle endormie.

La princesse curieuse regarda promptement qui pouvait chanter si bien, et reconnaissant son cher frère, elle pensa se précipiter de sa fenêtre en bas pour être plus tôt auprès de lui; elle parla si haut que tout le monde s'étant éveillé, l'on vint ouvrir la porte à Chéri. Il entra avec un empressement que l'on peut assez se figurer. Il tenait dans sa main la branche d'ambre, au bout de laquelle était le merveilleux fruit, et comme il l'avait senti souvent, son esprit était augmenté à tel point, que rien dans le monde ne lui pouvait être comparable.

Belle Étoile courut au-devant de lui avec une grande précipitation : « Pensez-vous que je vous remercie, mon cher frère ? lui dit-elle en pleurant de joie. Non, il n'est point de bien que je n'achète trop cher quand vous vous exposez pour me l'acquérir. - Et il n'est point de périls, lui dit-il, auxquels je ne veuille toujours me hasarder pour vous donner la plus petite satisfaction. Recevez, Belle Étoile, continua-t-il, recevez ce fruit unique, personne au monde ne le mérite si bien que vous: mais que vous donnera-t-il que vous n'ayez déjà?» Petit Soleil et son frère vinrent interrompre cette conversation; ils eurent un sensible plaisir de revoir le prince; il leur raconta son voyage, et cette relation les mena jusqu'au jour.

La mauvaise Feintise était revenue dans sa petite maison, après avoir entretenu la reine mère de ses projets; elle avait trop d'inquiétude pour dormir tranquillement: elle entendit le doux chant de la Pomme, que rien dans la nature ne pouvait égaler. Elle ne douta point que la conquête n'en fût faite: elle pleura; elle gémit; elle s'égratigna le visage; elle s'arracha les cheveux; sa douleur était extrême, car au lieu de faire du mal aux beaux enfants comme elle l'avait projeté, elle leur faisait du bien, quoiqu'il n'entrât que de la perfidie dans ses conseils.

Dès qu'il fut jour elle apprit que le retour du prince n'était que trop vrai, elle retourna chez la reine mère: « Hé bien, lui dit cette princesse, Feintise, m'apportes-tu de bonnes nouvelles, les enfants ont-ils péri? - Non, madame, dit-elle en se jetant à ses pieds, mais que Votre Majesté ne s'impatiente point, il me reste des moyens infinis de vous en délivrer. - Ha! malheureuse, dit la reine, tu n'es au monde que pour me trahir, tu les épargnes.» La vieille protesta bien le contraire, et quand elle l'eut un peu apaisée, elle s'en revint pour rêver à ce qu'il fallait faire.

Elle laissa passer quelques jours sans paraître, au bout desquels elle épia si bien, qu'elle trouva la princesse seule dans une route de la forêt, qui se promenait, attendant le retour de ses frères. « Le Ciel vous comble de biens, lui dit cette scélérate en l'abordant, charmante Étoile, j'ai appris que vous possédez la Pomme qui chante, certainement, quand cette bonne fortune me serait arrivée, je n'en aurais pas plus de joie; car il faut avouer que j'ai pour vous une inclination qui m'intéresse dans tous vos avantages : cependant, continua-t-elle, je ne peux m'empêcher de vous donner un nouvel avis. - Ha! gardez vos avis, s'écria la princesse en s'éloignant d'elle, quelques biens qu'ils m'apportent, ils ne sauraient me payer l'inquiétude qu'ils m'ont causée. - L'inquiétude n'est pas un si grand mal, repartit-elle en souriant, il en est de douces et de tendres. - Taisez-vous, ajouta Belle Étoile, je tremble quand j'y pense. - Il est vrai, dit la vieille, que vous êtes fort à plaindre, d'être la plus belle et la plus spirituelle fille de l'univers. Je vous en fais mes excuses. - Encore un coup, répliqua la princesse, je sais suffisamment l'état où l'absence de mon frère m'a réduite. - Il faut malgré cela que je vous dise, continua Feintise, qu'il vous manque encore le Petit Oiseau Vert qui dit tout, vous seriez informée par lui de votre naissance, des bons ou des mauvais succès de la vie, il n'y a rien de si particulier qu'il ne vous découvrît; et lorsqu'on dira dans le monde: "Belle Etoile a l'Eau qui danse et la Pomme qui chante", l'on dira en même temps: "Elle n'a pas le Petit Oiseau Vert qui dit tout, et il vaudrait presque autant qu'elle n'eût rien."»

Après avoir débité ainsi ce qu'elle avait dans l'esprit, elle se retira. La princesse triste et rêveuse, commença à soupirer amèrement : « Cette femme a raison, disait-elle, de quoi me servent les avantages que je reçois de l'Eau et de la Pomme, puisque j'ignore d'où je suis, qui sont mes parents, et par quelle fatalité mes frères et moi avons été exposés à la fureur des ondes. Il faut qu'il y ait quelque chose de bien extraordinaire dans notre naissance pour nous abandonner ainsi, et une protection bien évidente du Ciel pour nous avoir sauvés de tant de périls. Quel plaisir n'aurais-je point de connaître mon père et ma mère, de les chérir s'ils sont encore vivants, et d'honorer leur mémoire s'ils sont morts?» Là-dessus les larmes vinrent avec abondance couvrir ses joues, semblables aux gouttes de la rosée qui paraît le matin sur les lis et sur les roses.

Chéri qui avait toujours plus d'impatience de la voir que les autres, s'était hâté après la chasse de revenir; il était à pied: son arc pendait négligemment à son côté; sa main était armée de quelques flèches; ses cheveux rattachés ensemble; I1 avait en cet état un air martial qui plaisait infiniment. Dès que la princesse l'aperçut, elle entra dans une allée sombre, afin qu'il ne vît pas les caractères de douleur qui étaient sur son visage: mais une maîtresse ne s'éloigne pas si vite, qu'un amant bien empressé ne la joigne. Le prince l'aborda; il eut à peine jeté les yeux sur elle qu'il connut qu'elle avait quelque peine: il s'en inquiète; il la prie, il la presse de lui en apprendre le sujet, elle s'en défend avec opiniâtreté. Enfin il tourne la pointe d'une de ses flèches contre son cœur: «Vous ne m'aimez point, Belle Étoile, lui dit-il, je n'ai plus qu'à mourir.» La manière dont il lui parlait la jeta dans la dernière alarme, elle n'eut plus la force de lui refuser son secret; mais elle ne lui dit qu'à condition qu'il ne chercherait de sa vie les moyens de satisfaire le désir qu'elle avait; il lui promit tout ce qu'elle exigeait, et ne marqua point qu'il voulût entreprendre ce dernier voyage.

Aussitôt qu'elle se fut retirée dans sa chambre et les princes dans les leur, il descendit en bas, tira son cheval de l'écurie, monta dessus, et   partit sans en parler à personne. Cette nouvelle jeta la belle famille dans une étrange consternation. Le roi qui ne les pouvait oublier les envoya prier de venir dîner avec lui; ils répondirent que leur frère venait de s'absenter: qu'ils ne pouvaient avoir de joie ni de repos sans lui, et qu'à son retour ils ne manqueraient pas d'aller au palais. La princesse était inconsolable, l'Eau qui danse et la Pomme qui chante n'avaient plus de charmes pour elle: sans Chéri, rien ne lui était agréable.

Le prince s'en alla, errant par le monde, il demandait à ceux qu'il rencontrait ou il pourrait trouver le Petit Oiseau Vert qui dit tout, la plupart l'ignoraient; mais il rencontra un vénérable vieillard, qui l'avant fait entrer dans sa maison, voulut bien prendre la peine de regarder sur un globe, qui faisait une partie de son étude et de son divertissement. Il lui dit ensuite qu'il était dans un climat glacé sur la pointe d'un affreux rocher, et il lui enseigna la route qu'il devait tenir. Le prince par reconnaissance lui donna plein un petit sac de grosses perles qui étaient tombées de ses cheveux, et prenant congé de lui, il continua son voyage.

Enfin au lever de l'aurore il aperçut le rocher, fort haut et fort escarpé, et sur le sommet l'Oiseau qui parlait comme un oracle, disant des choses admirables: il comprit qu'avec un peu d'adresse il était aisé de l'attraper, car il ne paraissait point farouche: il allait et venait, sautant légèrement d'une pointe sur l'autre. Le prince descendit de cheval et montant sans bruit malgré l'âpreté de ce mont, il se promettait le plaisir d'en faire un sensible à Belle Étoile-, il se voyait si proche de l'Oiseau Vert qu'il croyait le prendre, lorsque le rocher s'ouvrant tout d'un coup, il tomba dans une spacieuse salle, aussi immobile qu'une statue: il ne pouvait ni remuer ni se plaindre de sa déplorable aventure. Trois cents chevaliers qui l'avaient tentée comme lui étaient au même état; ils s'entre-regardaient; c'était la seule chose qui leur était permise.

Le temps semblait si long à Belle Étoile, que ne voyant point revenir son Chéri, elle tomba dangereusement malade. Les médecins connurent bien qu'elle était dévorée par une profonde mélancolie; ses frères l'aimaient tendrement; ils lui parlèrent de la cause de son mal: elle leur avoua qu'elle se reprochait nuit et jour l'éloignement de Chéri; qu'elle sentait bien qu'elle mourrait si elle n'apprenait pas de ses nouvelles; ils furent touchés de ses larmes, et pour la guérir, Petit Soleil résolut d'aller chercher son frère.

Ce prince partit, il sut en quel lieu était le fameux Oiseau; il y fut; il le vit; il s'en approcha avec les mêmes espérances, et dans ce moment le rocher l'engloutit; il tomba dans la grande salle; la première chose qui arrêta ses regards ce fut Chéri : mais il ne put lui parler.

Belle Étoile était un peu convalescente, elle espérait à chaque moment de voir revenir ses deux frères : mais ses espérances étant déçues, son affliction prit de nouvelles forces ; elle ne cessait plus jour et nuit de se plaindre; elle s'accusait du désastre de ses frères, et le prince Heureux n'ayant pas moins de pitié d'elle que d'inquiétude pour les princes, prit à son tour la résolution de les aller chercher. Il le dit à Belle Étoile; elle voulut d'abord s'y opposer, mais il répliqua qu'il était bien juste qu'il s'exposât pour trouver les personnes du inonde qui lui étaient les plus chères: là-dessus il partit, après avoir fait de tendres adieux à la princesse; elle resta seule en proie à la plus vive douleur.

Quand Feintise sut que le troisième prince était en chemin, elle se réjouit infiniment; elle en avertit la reine mère, et lui promit plus fortement que jamais de perdre toute cette infortunée famille: en effet Heureux eut une aventure semblable à Chéri et Petit Soleil; il trouva le rocher; il vit le bel Oiseau; et il tomba comme une statue dans la salle, où il reconnut les princes qu'il cherchait sans pouvoir leur parler; ils étaient tous arrangés dans des niches de cristal; ils ne dormaient jamais, ne mangeaient point, et restaient enchantés d'une manière bien triste, car ils avaient seulement la liberté de rêver, et de déplorer leur aventure.

Belle Étoile inconsolable, ne voyant revenir aucun de ses frères, se reprocha d'avoir tardé si longtemps à les suivre. Sans hésiter davantage, elle donna ordre à tous ses gens de l'attendre six mois: mais que si ses frères ou elle ne revenaient pas dans ce temps, ils retournassent apprendre leur mort au corsaire et à sa femme: ensuite elle prit un habit d'homme, trouvant qu'il y avait moins à risquer pour elle ainsi travestie dans son voyage, que si elle était allée en aventurière courir le monde. Feintise la vit partir dessus son beau cheval; elle se trouva alors comblée de joie, et courut au palais régaler la reine mère de cette bonne nouvelle.

La princesse s'était armée seulement d'un casque dont elle ne levait presque jamais la visière, car sa beauté était si délicate et si parfaite qu'on n'aurait pas cru, comme elle le voulait, qu'elle était un cavalier. La rigueur de l'hiver se faisait ressentir, et le pays où était le Petit Oiseau qui dit tout, ne recevait en aucune saison les heureuses influences du soleil.

Belle Étoile avait un étrange froid, mais rien ne pouvait la rebuter, lorsqu'elle vit une tourterelle qui n'était guère moins blanche et guère moins froide que la neige, laquelle était étendue. Malgré toute son impatience d'arriver au rocher, elle ne voulut pas la laisser mourir, et descendant de cheval, elle la prit entre ses mains, la réchauffa de son haleine, puis la mit dans son sein; la pauvre petite ne remuait plus. Belle Étoile pensait qu'elle était morte, elle y avait regret; elle la retira, et la regardant, elle lui dit, comme si elle eût pu l'entendre: «Que ferai-je bien, aimable tourterelle, pour te sauver la vie? - Belle Étoile, répondit la bestiole, un doux baiser de votre bouche peut achever ce que vous avez si charitablement commencé. - Non pas un, dit la princesse, mais cent s'il les faut.» Ella la baisa et la Tourterelle reprenant courage, lui dit gaiement: «Je vous connais malgré votre déguisement, sachez que vous entreprenez une chose qui vous serait impossible sans mon secours; faites donc ce que je vais vous conseiller. Dès que vous serez arrivée au rocher, au lieu de chercher le moyen d'y monter, arrêtez-vous au pied, et commencez la plus belle chanson et la plus mélodieuse que vous sachiez, l'Oiseau Vert qui dit tout vous écoutera et remarquera d'où vient cette voix; ensuite vous feindrez de vous endormir, je resterai auprès de vous; quand il me verra, il descendra de la pointe du rocher pour me becqueter: c'est dans ce moment que vous le pourrez prendre.»

La princesse ravie de cette espérance arriva presque aussitôt au rocher, elle reconnut les chevaux de ses frères qui broutaient l'herbe: cette vue renouvela toutes ses douleurs; elle s'assit et pleura longtemps amèrement. Mais le Petit Oiseau Vert disait de si belles choses et si consolantes pour les malheureux, qu'il n'y avait point de cœur affligé qu'il ne réjouît; de sorte qu'elle essuya ses larmes, et se mit à chanter si haut et si bien, que les princes au fond de leur salle enchantée eurent le plaisir de l'entendre.

Ce fut le premier moment où ils sentirent quelque espérance. Le Petit Oiseau Vert qui dit tout écoutait et regardait d'où venait cette voix; il aperçut la princesse qui avait ôté son casque pour dormir plus commodément et la tourterelle qui voltigeait autour d'elle: à cette vue il descendit doucement et vint la becqueter, mais il ne lui avait pas arraché trois plumes, qu'il était déjà pris.

« Ha ! que me voulez-vous ? lui dit-il. Que vous ai-je fait pour venir de si loin me rendre malheureux? Accordez-moi ma liberté, je vous en conjure; voyez ce que vous souhaitez en échange, il n'y a rien que je ne fasse. - Je désire. lui dit Belle Étoile, que tu me rendes mes trois frères, je ne sais où ils sont: mais leurs chevaux qui paissent près de ce rocher, me font connaître que tu les retiens en quelque lieu. - J'ai sous l'aile gauche une plume incarnate, arrachez-la, lui dit-il, servez-vous-en pour toucher le rocher.» La princesse fut diligente à ce qu'il lui avait commandé. en même temps elle vit des éclairs et elle entendit un bruit de vents et de tonnerres mêlés ensemble, qui lui firent une peur extrême; malgré sa frayeur, elle tint toujours l'Oiseau Vert, craignant qu'il ne lui échappât: elle toucha encore le rocher avec la plume incarnate, et la troisième fois, il se fendit depuis le sommet jusqu'au pied; elle entra d'un air victorieux dans la salle où les trois princes étaient avec beaucoup d'autres: elle courut vers Chéri; il ne la reconnaissait point avec son habit et son casque, et puis l'enchantement n'était pas encore fini, de sorte qu'il ne pouvait ni parler ni agir. La princesse qui s'en aperçut fit de nouvelles questions à l'Oiseau Vert, auxquelles il répondit qu'il fallait avec la plume incarnate frotter les yeux et la bouche de tous ceux qu'elle voudrait désenchanter; elle rendit ce bon office à plusieurs rois, à plusieurs souverains, et particulièrement à nos trois princes.

Touchés d'un si grand bienfait, ils se jetèrent tous à ses genoux, la nommant le libérateur des rois. Elle s'aperçut alors que ses frères trompés par son habit ne la reconnaissaient point: elle ôta promptement son casque; elle leur tendit les bras, les embrassa cent fois, et demanda aux autres princes avec beaucoup de civilité qui ils étaient: chacun lui dit son aventure particulière, et s'offrirent à l'accompagner partout où elle voudrait aller. Elle aucun retardement. Cet heureux jour venu, qui était celui du grand banquet, Belle Étoile et les trois princes arrivèrent; le gentilhomme leur apprit l'histoire du roi, comme il avait autrefois épousé une pauvre fille parfaitement belle et sage, qui avait eu le malheur d'accoucher de trois chiens: qu'il l'avait chassée pour ne la plus voir: que cependant il l'aimait tant, qu'il avait passé quinze ans sans vouloir écouter aucune proposition de mariage: que la reine mère et ses sujets l'ayant fortement pressé, il  s'était résolu à épouser une princesse de sa Cour, et qu'il fallait promptement y venir pour assister à toute la cérémonie.

En même temps Belle Étoile prit une robe de velours, couleur de rose, toute garnie de diamants brillants; elle laissa tomber ses cheveux par grosses boucles sur ses épaules; ils étaient renoués de rubans: l'étoile qu'elle avait sur le front jetait beaucoup de lumière, et la chaîne d'or qui tournait autour de son cou, sans qu'on la pût ôter, semblait être d'un métal plus précieux que l'or même: enfin jamais rien de si beau ne parut aux yeux des mortels. Ses frères n'étaient pas moins bien; entre autres, le prince Chéri avait quelque chose qui le distinguait très avantageusement. Ils montèrent tous quatre dans un chariot d'ébène et d'ivoire, dont le dedans était de drap d'or avec des carreaux de même, brodés de pierreries; douze chevaux blancs le traînaient; le reste de leur équipage était incomparable. Lorsque Belle Étoile et ses frères parurent, le roi ravi les vint recevoir avec toute sa Cour au haut de l'escalier. La Pomme qui chante se faisait entendre d'une manière merveilleuse; l'Eau qui danse dansait, et le Petit Oiseau qui dit tout parlait mieux que les oracles; ils se baissèrent tous quatre jusqu'aux genoux du roi, et lui prenant la main, ils la baisèrent avec autant de respect que d'affection. Il les embrassa, et leur dit: «Je vous suis obligé, aimables étrangers, d'être venus aujourd'hui, votre présence me fait un plaisir sensible.» En achevant ces mots, il entra avec eux dans un grand salon où les musiciens jouaient de toutes sortes d'instruments, et plusieurs tables servies splendidement ne laissaient rien à souhaiter pour la bonne chère.

La reine mère vint, accompagnée de sa future belle-fille, de l'amirale Rousse et de toutes les dames, entre lesquelles on amenait la pauvre reine liée par le cou avec une longe de cuir, et les trois chiens attachés de même. On la fit avancer jusqu'au milieu du salon, où était un chaudron plein d'os et de mauvaise viande que la reine mère avait ordonnée pour leur dîner.

Quand Belle Étoile et les princes la virent si malheureuse, bien qu'ils ne la connussent point, les larmes leur vinrent aux yeux; soit que la révolution des grandeurs du monde les touchât, ou qu'ils fussent émus par la force du sang qui se fait toujours ressentir. Mais que pensa la mauvaise reine d'un retour si peu espéré et si contraire à ses desseins? Elle jeta un regard furieux sur Feintise, qui aurait voulu voir ouvrir la terre pour s'y précipiter.

Le roi présenta les beaux enfants à sa mère, lui disant mille biens d'eux; et malgré l'inquiétude dont elle était saisie, elle ne laissa pas de leur parler avec un air riant, et de leur jeter des regards aussi favorables que si elle les eût aimés, car la dissimulation était en usage dès ce temps-là. Le festin se passa fort gaiement, quoique le roi eût une extrême peine de voir manger sa lemme ave des doguins, comme la dernière des créatures: mais ayant résolu d'avoir de la complaisance pour sa mère qui l'obligeait à se remarier, il la laissait ordonner de tout.

Sur- la fin du repas, le roi adressant la parole à Belle Étoile: «Je sais, lui dit-il, que vous êtes en possession de trois trésors qui sont incomparables, je vous en félicite, et je vous prie de nous raconter ce qu'il a fallu faire pour les conquérir. - Sire, dit-elle, je vous obéirai avec plaisir. L'on m'avait dit que l'Eau qui danse me rendrait belle, et que la Pomme qui chante me donnerait de l'esprit: j'ai souhaité de les avoir par ces deux raisons. À l'égard du Petit Oiseau Vert qui dit tout, j'en ai eu une autre. C'est que nous ne savons rien de notre fatale naissance; nous sommes des enfants abandonnés de nos proches, qui n'en connaissons aucun. J'ai espéré que ce merveilleux Oiseau nous éclaircirait sur une chose qui nous occupe jour et nuit. - À juger de votre naissance par vous, répliqua le roi, elle doit être des plus illustres: mais parlez sincèrement: qui êtes-vous? - Sire, dit-elle, mes frères et moi avons différé de l'interroger jusqu'à notre retour, en arrivant nous avons reçu vos ordres pour venir à vos noces: tout ce que j'ai pu faire, ç'a été de vous apporter ces trois raretés pour vous divertir.

«J'en suis très aise, s'écria le roi, ne différons pas une chose si agréable. - Vous vous amusez à toutes les bagatelles qu'on vous propose, dit la reine mère en colère, voilà de plaisants marmousets avec leurs raretés: en vérité le nom seul fait assez connaître que rien n'est plus ridicule. Fi, fi, je ne veux pas que des petits étrangers, apparemment de la lie du peuple, aient l'avantage d'abuser de votre crédulité; tout cela consiste en quelque tour de gibecière et de gobelets; et sans vous, ils n'auraient pas l'honneur d'être assis à ma table.»

Belle Étoile et ses frères entendant un discours si désobligeant ne savaient que devenir: leur visage était couvert de confusion et de désespoir, d'essuyer un tel affront devant toute cette grande Cour. Mais le roi ayant répondu à sa mère que son procédé l'outrait, pria les beaux enfants de ne s'en point chagriner, et leur tendit la main en signe d'amitié. Belle Etoile prit un bassin de cristal de roche, dans lequel elle versa toute l'Eau qui danse on vit aussitôt que cette Eau s'agitait; sautait en cadence; allait et venait; s'élevait comme une petite mer irritée: changeait de mille couleurs et faisait aller le bassin de cristal le long de la table du roi, puis il s'en élança tout d'un coup quelques gouttes sur le visage du Premier Écuyer, à qui les enfants avaient de l'obligation; c'était un homme d'un mérite rare, mais sa laideur ne l'était pas moins, et il avait même perdu un œil. Dès que l'Eau l'eut touché il devint si beau qu'on ne le reconnaissait plus, et son œil se trouva guéri. Le roi qui l'aimait chèrement, eut autant de joie de cette aventure que la reine mère en ressentit de déplaisir, car elle ne pouvait entendre les applaudissements qu'on donnait aux princes. Après que le grand bruit fut cessé, Belle Etoile mit sur l'Eau qui danse la Pomme qui chante, faite d'un seul rubis, couronné de diamants, avec sa branche d'ambre: elle commença un concert si mélodieux, que cent musiciens se seraient fait moins entendre; cela ravit le roi et toute la Cour; et l'on ne sortait point d'admiration quand Belle Étoile tira de son manchon une petite cage d'or d'un travail merveilleux où était l'Oiseau Vert qui dit tout : il ne se nourrissait que de poudre de diamants, et ne buvait que de l’eau de perles distillées. Elle le prit bien délicatement et le posa sur la Pomme, qui se tut par respect, afin de lui donner le temps Lie parler: il avait ses plumes d'une si grande délicatesse, qu'elles s'agitaient quand on fermait les yeux et qu'on les rouvrait proche de lui: elles étaient de toutes les nuances de vert que l'on peut imaginer: il s'adressa au roi, et lui demanda ce qu'il voulait savoir. « Nous souhaitons tous d'apprendre, répliqua le roi, qui est cette belle fille et ces trois cavaliers. -Ô roi, répondit l’Oiseau Vert avec une voix forte et intelligible, elle est ta fille, et deux de ces princes sont tes fils: le troisième appelé Chéri est ton neveu.» Là-dessus il raconta avec une éloquence incomparable toute l'histoire, sans négliger la moindre circonstance.

Le roi fondait en larmes, et la reine affligée, qui avait quitté son chaudron, ses os et ses chiens, s'était approchée doucement, elle pleurait de joie et d'amour pour son mari et pour ses enfants: car pouvait-elle douter de la vérité de cette histoire, quand elle leur voyait toutes les marques qui pouvaient les faire reconnaître? Les trois princes et Belle Étoile se levèrent à la fin de leur histoire: ils vinrent se jeter aux pieds du roi; ils embrassaient ses genoux: ils baisaient ses mains; il leur tendait les bras: il les serrait contre son cour: l'on n'entendait que des soupirs, des « hélas », des cris de joie. Le roi se leva, et voyant la reine sa femme qui demeurait toujours craintive proche de la muraille d'Un air humilié, il alla à elle, et   lui faisant mille caresses, il lui présenta lui-même un fauteuil auprès du sien, et l'obligea de s'y asseoir.

Ses enfants lui baisèrent mille fois les pieds et les mains; jamais spectacle n'a été plus tendre ni plus touchant; chacun pleurait en son particulier, et levait les mains et les yeux au Ciel pour lui rendre grâce d'avoir permis que des choses si importantes et si obscures fussent connues. Le roi remercia la princesse qu'il avait eu dessein d'épouser, il lui laissa une grande quantité de pierreries. Mais à l'égard de la reine mère, de l'amirale et de Feintise, que n'aurait-il pas fait contre elles, s'il n'avait écouté que son ressentiment? Le tonnerre de sa colère commençait à gronder lorsque la généreuse reine, ses enfants et Chéri le conjurèrent de s'apaiser, et de vouloir rendre contre elles un jugement plus exemplaire que rigoureux: il fit enfermer la reine mère dans une tour, mais pour l'amirale et Feintise, on les jeta ensemble dans le fond d'un cachot noir et humide, où elles ne mangeaient qu'avec les trois doguins Chagrin, Mouron et Douleur, lesquels ne voyant plus leur bonne maîtresse, mordaient celles-ci à tous moments: elles y finirent leur vie, qui fut assez longue pour leur donner le temps de se repentir de tous leurs crimes.

Dès que la reine mère, l'amirale Rousse et Feintise eurent été amenées chacune dans le lieu que le roi avait ordonné, les musiciens recommencèrent à chanter et à jouer des instruments. La joie était sans pareille: Belle Étoile et Chéri en ressentaient plus que tout le reste du monde ensemble: ils se voyaient à la veille d'être heureux. En effet, le roi trouvant son neveu le plus beau et le plus spirituel de toute sa Cour, lui dit qu'il ne voulait pas qu'un si grand jour se passât sans faire des noces et qu'il lui accordait sa fille. Le prince transporté de joie se jeta à ses pieds. Belle Etoile ne témoigna guère moins de satisfaction.

Mais il était bien juste que la vieille princesse, qui vivait dans la solitude depuis tant d'années, la quittât pour venir partager l'allégresse publique. Cette même petite fée qui était venue dîner chez elle et qu'elle reçut si bien, y entra tout d'un coup, pour lui raconter ce qui se passait à la Cour: « Allons-y, continua-t-elle; je vous apprendrai pendant le chemin les soins que j'ai pris de votre famille.» La princesse reconnaissante monta dans son chariot; il était brillant d'or et d'azur, précédé par des instruments de guerre, et suivi de six cents gardes du corps, qui paraissaient de grands seigneurs. Elle raconta à la princesse toute l'histoire de ses petits-fils, et lui dit qu'elle ne les avait point abandonnés, que sous la forme d'une sirène, sous celle d'une tourterelle, enfin de mille manières, elle les avait protégés: « Vous voyez, ajouta la fée, qu'un bienfait n'est jamais perdu.»

La bonne princesse voulait à tous moments baiser ses mains pour lui marquer sa reconnaissance, elle ne trouvait point de termes qui ne fussent au-dessous de sa joie. Enfin elles arrivèrent. Le roi les reçut avec mille témoignages d'amitié. La reine Blondine et les beaux enfants s'empressèrent, comme on le peut croire, à témoigner de l'amitié à cette illustre dame; et lorsqu'ils surent ce que la fée avait fait en leur faveur, et qu'elle était la gracieuse tourterelle qui les avait guidés, il ne se peut rien ajouter à tout ce qu'ils lui dirent. Pour achever de combler le roi de satisfaction, elle lui apprit que sa belle-mère, qu'il avait toujours prise pour une pauvre paysanne, était née princesse souveraine. C'était peut-être la seule chose qui manquait au bonheur de ce monarque. La fête s'acheva par le mariage de la princesse Belle Étoile avec le prince Chéri. L'on envoya quérir le corsaire et sa femme, pour les récompenser encore de la noble éducation qu'ils avaient donnée aux beaux enfants. Enfin après de longues peines, tout le monde fut satisfait.

L'amour, n'en déplaise aux censeurs,

Est l'origine de la gloire:

Il sait animer les grands cœurs

À braver le péril, à chercher la victoire.

C'est lui qui dans tout l'univers

A du prince Chéri conservé la mémoire,

Et qui lui fit tenter tous les exploits divers

Que l'on remarque en son histoire.

Du moment qu'au beau sexe on veut faire sa cour;

Il faut se préparer servir ses caprices.

Mais un cœur ne craint pas les plus grands précipices,

S'il a pour l'animer, et la gloire et l'amour.

 

Comtesse d'Aulnoy, 1698.

 

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