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  • Réac, atrabilaire, mais non sans expérience le justifiant. Sens de l'humour permanent, mais hélas sens de la réalité qui s'échappe de jour en jour. Par contre, même houleux, j'aime bien les échanges de point de vue. Et sur tous les sujets.
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4 avril 2007 3 04 /04 /avril /2007 11:55

 

12 février

Les jours suivants, je réitère mon troc de vers ; je recopie même de la prose. Personne, pas plus que moi, ne s'attache au réel talent de mes textes. J'en demeure parfaitement conscient, j'en atteste naïvement parfois, j'en épilogue autrement, mais j'insiste cependant au regard unique du résultat ; celui de quelques pièces obtenues. Certes, mon talent se situerait probablement ailleurs ; certainement dans l'art de la conversation ; celui dont mon frère excelle au mieux à un autre endroit de la ville.
Dois-je tenter de le mimer ?... Je n'en suis pas convaincu, mais toutefois l'occasion se présente.
Brice Lepeltier, un insipide de première catégorie, un particulièrement muet, un handicapé de la vocation...
Encore l'une des trois cents quarante sept relations de Jean-Hugues !
Le type me paie une bière - je l'entraîne où il faut pour en boire une bonne d'ailleurs -, il n'a rien à me dire, et cela tombe mal car moi non plus je n'ai rien à lui dire. Enfin, il cherche et trouve.
-   Elle est géniale la gratte à ton frère ; c'est une Fender ?
-   Non ! une imitation ou une sous-marque ; je ne sais plus...
-   Et puis, il en touche..., il devrait composer.
-   Il a composé, c'est fait, mais, tu vois, faut du blé pour se
produire ; maintenant, il a autre chose dans la tête, d'autres projets, je pense.
-   C'est dommage !..., et toi, la musique ?
-   Moi, c'était le piano ; disons quand j'étais gosse ; j'ai fait quelques années de conservatoire, puis c'est pareil, faut de l'argent, et puis faut de la place pour un piano.
-   T'avais un style ?
-   Non ! j'apprenais comme les autres ; Frédéric Chopin, Eric Satie, du classique quoi.
-   T'as jamais jouer avec ton frère ?
-   Si, quelques temps à la batterie, mais j'ai dû la revendre.
-   Bon bah !...
-   Bah, salut !
Une conversation, si courte soit-elle, est la rencontre entre deux esprits, et, malgré que soit identique le langage, le reste peut tourner à l'agression systématique, et parfois trop souvent de nos jours, surtout lorsque le rapport est mêlé de pécuniarité. En exemple de
conversation, celle-ci avait été ce qu'il y a de plus stérile à ma
convenance. Qui plus est, elle m'ôta toute énergie, toute motivation à retenter la vente de mes poèmes.
Maintenant, quiconque ne pourrait thésauriser en partant de
rien – ce qui reste mon cas -, autant que personne ne saurait absolument définir son avenir, ni même le caractère exact des réelles opportunités à saisir, surtout lorsque ces dernières nous surprennent à l'instant où on ne les attend pas.
Je parle comme cela puisque mon errance d'alors n'espérait guère
mieux de ce qui m'arriva.
Passant devant une société de travail intérimaire, une société dont
j'eus, par multiples tentatives, essuyé des éconduits, j'obtins, ce jour,
une offre d'emploi quasi immédiate. Une entreprise spécialisée dans
les rues piétonnes avait un extrême urgent besoin d'aides paveurs pour la réalisation d'un chantier à Château-Gontier.
Nourri, logé, l'offre ajoutait sept francs de l'heure.
C'était maintenant qu'il fallait signé ; ce fut de suite que je signais
cette mission dite de « surcroît », et ce fut dès le lendemain, à l'aube,
qu'avec un acompte viatique, je pris le train pour me faire enrôler par un plus que désagréable chef de chantier.















17 février : Lettre de Roland à son frère Jean-Hugues

Un moment pour t'écrire, pour te décrire un peu ce que ma
 « nouvelle vie » contient de rosé pâle.
Bien que mes capacités physiques me le permettent, ma tâche
quotidienne n 'a rien de similaire à celle d'un G.O. du club méd.,
 tu peux me croire. Rien d'enrichissant non plus côté intellectuel !
Le résumé en sera d'ailleurs très bref : je déplace, je manipule,
j'approche des quantités de pierres à peine chiffrables auprès
d'autres intervenants, agenouillés toute la sainte journée à disposer
ces fameux pavés dont j'ai tant de mal à transporter.
Sans aucun arrêt notoire, ces types semblent s'être ligués à ne jamais me laisser de répit.
On appelle cela des paveurs ; moi, je les baptiserais volontiers tout autrement. À savoir, des consommateurs de cailloux ; des manges pierres !...
Bref!  ils me cassent le dos.
Le soir, rien que l’idée d'aller pisser me fait frémir durant plus de trois quart d'heure avant que cela me prenne. T'imagine !...
Sinon, le baraquement dans lequel je suis stocké pour la nuit reste assez confortable. Cuisine, douche, literie moyenne, mais surtout une température ambiante très appréciable.
Dois-je t'avouer que malgré cela je ne suis toujours pas à l'aise dans mon statut d'être vivant. Vois qu'en dehors des quelques sous que je ramènerai au-delà de ce calvaire, j'ai d'énormes difficultés à supposer qu'un autre moins pire existerait pour moi, si ce n 'est dans un autre monde. Considère ici, non pas un mal être, mais davantage un non être, voire plus exactement une manifeste incompétence à être. Et, les basiques révélations existentielles dont tu prônes autant l'évidence que le bénéfice n 'y changent rien. Serais-je devenu complètement fragilisé d'une épidémie inconnue de toutes les médecines terrestres ? serais-je le prototype de l'absolue souffrance ; celle qui ne figure dans aucun dictionnaire ?
Et lorsque ton regard croise le miroir, ou que le miroir rencontre ton regard, il pourrait être dit que c'est une personne qu'il reflète ; certes, un esprit, une âme, un mouvement constituant ce qui est dit  d’un être humain en évolution sur lui-même, mais pour cet instant, il ne s'agit que de cela, et me serait-il permis alors de songer que
 c'est bien peu ? Je pourrais également, moi, me dire que ce reflet
 n'est celui que du court espace temps dont seul constate et profite notre conscience.  Celle qui rappelle ce que nous sommes physiquement, mais jamais celle qui nous dit qui l'on est, et ce que nous serons au-delà de cette demi seconde ;  seconde entière ou longue minute durant laquelle nous ne voyons en effet qu 'une image extérieure de nous-même.
En quoi ai-je donc besoin de t'écrire ? quelle lumière me serait ici plus lumineuse que celle de te parler ? Si je m'interroge, certes je n'en atteste aucune primordiale urgence... Je connais, toutefois, tes facultés à m'entendre.
Oserais-je t'avouer que j'en profite ?...
Je tenterais d'éloigner ces jours de nécessité, de comptabilité de cette épreuve matériellement indispensable, de ce, qu'en marge, là où je me sens roi ; à savoir le domaine de mes exigences, si ce n'est celui incontrôlable de mes rêves.
Je sais, comme tous peuvent le concevoir en se penchant sur la question, n'être que de passage en ce détestable temporel,
qu'humble, il conviendrait de s'en accommoder, d'en subir docile au moins les conséquences, certes, et d'en jouir au mieux des résultats, mais, pour ma part, il me semble trop souvent ne pas évoluer dans l'élément, disons dans le biotope le mieux adapté à ma réelle convenance ; celle originelle.
J'ai en permanence la désagréable impression de ne pas, ni convenir, ni d'être convenu de cette vie terrestre qui m'alourdit d'une plus en plus intolérable pesanteur, pour encore moins dire une masse, un ensemble de combinaisons génétiques n'ayant aucune aptitude, voire toutes les carences possibles à l'osmose avec l'atmosphère qui l'accueille. Comme il s'agirait de tous éléments de faible densité au contacte de l'acide, comme il s'agirait de n'importe quel épineux tropical tentant d'évoluer en climat polaire.
Pourtant, quelques non lointains souvenirs de mon adolescence m'invitent parfois à davantage optimiser mon présent, sa situation, la nôtre ; alors, je revois et m'accroche de brefs instants sur des joies que j'ai connu, sur des parties de vies agréables qui deviennent de véritables trésors occupant le fond de mon âme ; mon âme, elle-même principale réserve, autant de quelques de ces bons souvenirs que des enthousiasmes susceptibles de poindre, hélas non pas à tous moments, mais peut-être un jour, un lendemain ou beaucoup plus tard. M'entendrais-tu te dire que l'existence me pèse ?...
Je suis en effet déchiré des courants mille fois opposés qui, selon les accalmies et les turbulences que nous offrent cette vie, fragilisent la corde effilée sur laquelle je suis maintenu.
Mon présent ne m'est guère plus confortable que ne le serait mon absence du monde ; j'en revendique le terme, comprends-là mon espoir le mieux entretenu, et je vomis sans cesse du temps qui m'en sépare.
De tous les oiseaux blessés qui souffrent, et que tu ramasses sur la chaussée, crois-moi, je suis celui qui jamais n'eut souhaité prendre aucun envol.







26 février : Lettre de Jean-Hugues à Roland

 

Je te salue grand toi, frère de sang, ta tribu qui n'est plus que moi te salue, je ne t'ai pas oublié dans mon cœur... Je vois que la bataille est dure là-bas, à Château-Gontier. De toute mon âme, je te souhaite de trouver une déviation, des « palliatifs » à tes emmerdes. Moi, depuis trois semaines (pleine lune) je n'arrête pas. J'ai tout connu en l'espace de quelques temps. J'ai connu l'éternité, l'infini, l'absolu, j'ai vu mon enfer et mon paradis. J'ai senti la pression du destin agir sur moi comme une évidence qui m'était dictée et qui était écrite quelque part en lettres de feu.
J'ai constaté que dans ton courrier tu es en proie, sans pour autant que tu n'en demeures persuadé, à une métamorphose, une plaque tournante de la vie en quelque sorte. J'en suis persuadé ; tu ne peux davantage te paralyser des milles stigmates qui ont encombré le noir passé que tu as vécu... Ne m'en veux pas ; j'optimise comme je le sens !
Cela ne m'étonne pas car je t'ai entendu, je t'ai vu dans mon « délire mystique », toi Roland, comme une entité qui faisait partie de moi-même. Je pense qu'à ce moment, tu as dû me percevoir, toi aussi, tellement c 'était fort.
Nelly, qui était alors à Saint-Malo en train de se faire exploiter dans un hôtel restaurant, était également en train de traverser un enfer. Et, dans son délire, elle m'a vu, elle m'a appelé, mais je ne lui ai pas répondu, et pour cause, j'étais à ce moment là envoûté, et elle l'a senti malgré la distance qui m'éloignait d'elle. Je serai venu immanquablement à son appel si je n'avais pas rencontré une nana, à ce moment-là, et cela elle l'a deviné. Tout ce qui nous ait arrivé en l'espace de trois semaines, à tous les trois, n'est ni plus ni moins qu'un gigantesque cataclysme dans notre destin à chacun. Cela serait peut-être trop long à t'expliquer tout cela par lettre, mais nous sommes, je le crois, passés par un déroulement incroyable de faits et de coïncidences qui nous a révélé l'existence certaine d'un au-delà des choses.
L'histoire remonte à un soir où j'ai bouffé deux buvards d'un coup. Où je suis parti dans un délire mystique incroyable, où je me retrouvais dans la peau de quantité de personnages (Papa, Nelly, Toi, Van Gogh, un chat noir). Où je me suis senti appartenant à Dieu, où j'ai perdu mon identité et l'idée du «je » (qui est la même pour tout le monde : certitude à ne pas rejeter). J'ai voyagé à la vitesse de la pensée, dans le futur, dans mon fils que je n'ai pas encore, dans mon existence passée. J'ai vu redéfiler devant moi comme un film, tout en détail, 29 ans de vie terrestre. J'ai compris la conscience cosmique des bouddhistes. L'état d'illumination, le nirvana, j'étais Bouddha et j'ai refusé tous les mondes qui m'était offert (mondes dont j'étais le créateur, moi le « 1 »), j'étais devant ces mondes en état de béatitude comme Bouddha sous son arbre et j'ai fait les trois pas en arrière, comme lui. Et, on m'a renié comme lui, mais j'espère que toi tu comprendras, j'en suis sûr car tu fais partie de « Dieu », toi aussi, à travers ton «je» qui est le même que le mien. La chose que j'aurais à enseigner est : « Nous sommes des Dieux endormis », et moi, comme Bouddha, comme Jésus, comme Moïse, comme Blake, Huxley, Artaud, je me suis réveillé. Je sais que tous les mondes sont faux, et le monde et la matière aussi, mais il existe des milliards de mondes créés par l'esprit. La vérité est que tout est faux. Je n'étais plus l'entité Jean-Hugues en 1979 après J.C sur terre, dans le monde de la matière. J'avais perdu entièrement cette conception, puisque j'étais tout, j'étais l'esprit unique, dans Dieu, et j'étais Dieu, créateur et spectateur de ma création, émerveillé parce que je créais, j'avais créé et ce que je créerai.
La raison est fausse, puisque c'est une forme de folie, elle aide et empêche à la fois de s'éveiller. Le temps, la réalité, l'espace, sont des notions fausses de notre raison. Elle est là pour nous éveiller, mais en même temps, elle nous endort. Enfin bref ! depuis que j'ai connu l'éveillement, l'état de lucidité absolu (sagesse ?), tous les phénomènes qui arrivent, je les dirige, car j'en suis le créateur. Le monde du destin a rencontré le monde du libre arbitre. Le monde du « temporel » a rencontré celui de l'éternel.
Je vis maintenant pour quelque chose, je vis pour m'éveiller. Et je m'éveillerai totalement, j'en suis sûr, sans discipline, ni ascèse, mais des sciences occultes comme la divination psychédélique par exemple. Depuis, je n'arrête pas de considérer les événements comme un metteur en scène. Et je recherche sans cesse dans n'importe quelle situation, à retrouver, par une perception développée des choses, l'état dans lequel je me suis retrouvé artificiellement. Depuis, d'ailleurs j'ai réessayé des tas de trucs : datura, speed, shit à outrance, morphe, bourrin. Je suis descendu dans un enfer pas possible avec une nana qui se shoote sans arrêt. Jeff, en ce moment, il habite chez moi, provisoirement, et je discute beaucoup avec lui. On a écrit un manifeste à plusieurs personnes (Lionel Vernois, Frédéric, Alain, etc...), auquel, il faudra que tu y participes. Manifeste, supérieur à Dada, pire que ce que tu pourrais imaginer, illisible pour les profanes et les endormis.
Nelly aussi est en pleine période de délire. Ses parents doivent
s'inquiéter à son sujet, comme maman s'inquiète pour moi, et pour toi très certainement.
Nous vivons dans un monde complètement différent du leur. Même
Françoise et Jean-Yves, après tout ce que je leur ai dit, doivent me prendre pour un mégalo.
Entends-moi, dans le monde où nous sommes, et où tu es, les gens se rencontrent immanquablement, et c'est de cela que je veux croire, c'est de cela que je souhaite étayer à présent toutes les victoires constituant mon avenir, voire le tien si tu conçois et réalises mes termes qui rejoignent chaque jour le suprême débat avec l'éternel.
Tu voulais être un roi, ensemble, Roland, nous deviendrons des dieux.
Pour l'heure, je retourne aux perfections de mes enseignements ; ce
soir j'irai jusqu'à cinq buvards.

 

18 mars

Mon frère, c'était que de l'optimisme ; une fontaine d'espérances en
tout ! pas une once de crainte, ni de recul.. .Là encore, il avait cru ouvrir la meilleure porte. Une fois de plus, il avait découvert une clarté qu'il souhaitait me faire connaître. Hélas, il n'eut le temps de l'offrir à quiconque. À présent, il est mort réellement…
Son copain Lionel devait me confirmer, qu'obstiné comme il l'était, l'overdose restait quasi inévitable. Moi, désœuvré, terrassé je ne cessais de penser qu'il aurait au moins pu m'attendre.
À présent, qu'allais-je m'inventer comme issue, de mon côté ?
En poche, j'ai un peu d'argent pour voir venir, mais au-delà, ai-je une part infime de sa faculté de mutation ?  Ai-je une pousse, un germe de son charisme indispensable à l'aisance du côtoiement d'autrui ?... Malheureusement, toujours pas, et je vais demeurer seul à faire front à cette misère, doublée d'un deuil de surcroît.
Cependant, il me reste ma mère. Je l'ai aperçu à l'enterrement - elle aussi d'ailleurs -, et bien qu'on ne se parle plus, je pense que de s'entrevoir, comme ça, ne pouvait être plus désolant que la raison qui nous y conduisait. Partiellement, son cœur devait-là avoir un peu besoin du mien.
Maintenant, si je songe trop à cela, inévitablement je ne peux que m'approcher du navrant constat que, dans ma situation, rien de plus triste sont des parents non abordables, autant par le décès prématuré de l'un que par l'indécence de l'autre dont l'âge autorise à ne plus être dérangé.
Pourtant, pour ma part, je reste inquiet. Le propriétaire de Jean-Hugues, n'ayant pas manqué de m'invectiver sur le sujet de nos loyers en retard, me fit savoir que ma mère souffrait énormément d'une maladie incurable, qu'elle s'en trouvait fort paralysée, et que la convenance ne verrait d'autres options que la manifestation d'une mansuétude obligée à son égard.
En somme, il me suggérait ici de faire abstraction de tout différents autant que des rancœurs mutuelles jugées obsolètes, et ainsi entreprendre, de mon côté, ce que précisément elle refuserait ;
c'est-à-dire ma visite impromptue.
Pour se faire, un jour de la semaine serait plus humble, plus discret. Allais-je vraiment en échafauder le projet ?...
Retourner auprès de ma mère… ; quelle lamentable reprise au point zéro ! Quel serait un autre plus flagrant échec existentiel ?... Pourtant, ne serait-ce que pour elle, il fallait bien que j'agisse, et le matin de surcroît. Je ne peux dire que je vivais la nuit, puisqu'en réalité je ne vivais pas - disons que mon isolement se culpabilisait moins durant la nuit que dans le courant de la journée -, mais d'affronter le soleil, si faible soit-il, me devenait de plus en plus pénible. Comme un vampire, je n'appartenais plus à ce monde, et, de plus en plus, j'en étayais cette stérile pensée en parallèle d'une
autre ; j'entends celle de mon rapport direct avec le soleil.
Lui, le jour où je l'ai connu, durant ces premiers étés, ces printemps, il semblait alors ne vouloir briller que pour moi. Se serait-il
trompé ? ou aurait-il été berné à son tour ?.. .cependant, cette rencontre, et je puis vous le confirmer, cette union entre le soleil et moi, comment dire ?... : ce fut ce qu'il y eut de plus exact. Hélas, depuis, et durant toute une existence, que voyons-nous d'autre, que subissons-nous d'autre qu'un essaim d'espoirs mal enchevêtrés, mais codifiés, et dont toute réelle interprétation, toute réception nous échappe au plus évident, du moins au plus triste immédiat ?
Alors, parfois de hargne, nous recherchons l'accès suprême de cette
mélasse en observant de notre œil le plus envieux la néanmoins
inlassable présence de ce radieux soleil. Et là, il nous faut l'énergie
suffisante à pénétrer le tout, le nous, le moi dont il apparaît qu'il
demeure le plus étranger des choses connues ; l'opposé du soleil
donc !
Reconnaissez ici, et une fois de plus, qu'il m'est aisé de rester
humble. Aussi, voyez qu'ombre et souvenir n'ont aucune force.
Chaque jour que Dieu s'employait à me rendre identique à l'autre, de
stérilité aggravante, je repoussais l'heure de cette visite : le couperet de cette échéance. Dois-je avouer que ma haute fierté s'en trouvait plus stupidement atteinte que ma réelle motivation dissimulée s'en jugeait coupable ?
Un bouillon de remords mêlé de besoins me brûlait l'âme deux
secondes sur cinq ; il fallait que j'en vienne à la saignée !
C'est un vendredi, au matin donc, que j'estimais le jour venu, et,
m'encombrant du minimum de réflexion quant à l'abord de la
question, je m'activais à parcourir la ville avant que le recul ne me
torture à nouveau l'esprit.
Je sonnais au portail ; je sonnais, mais sans plus de réponse, gelé sur le trottoir, je m'imposais à l'intérieur du pavillon en y franchissant la
porte d'entrée bizarrement entrouverte.
Aucun bruit, aucune présence ne voulait s'y manifester.
-   Maman?...
Je visitais tout le rez-de-chaussée.
-   Maman ?... Maman ?...
Je savais sa chambre à l'étage, je m'y rendis, et je la découvrais morte, à demi alitée, le regard immobile vers le plafond ; les yeux grands ouverts sur l'éternel.
Du sang froid le moins encombré d'émotions pour ce premier instant, je la disposais correctement sur sa couche, et, sans n'y percevoir d'alarme, je m'assis à ses côtés un autre instant.
Voilà un second bien triste événement, bien trop rapproché du
premier, pensais-je, et durant mon avenir assombri au plus culminant de cela, de qui, de quoi allais-je m'alimenter d'épilogues, m'abreuver de conflits ? Quelle âme voisine reflétera la mienne ? Maintenant, où se trouve celle ou celui conçu à ma réception ?...
Je me croyais seul par vice ; je le deviens en deuil, en réalité de
faits ; à présent, je le suis par mauvaises orientations de la fatalité.
C'est peut-être aussi le meilleur choix du maître de l'au-delà ; la
décision des invisibles gérants de nos vies, de nos futurs.
Vois le tien, Roland, comme une perpétuelle errance, une faute de la
génétique m'ayant programmé d'un cérébral mal-existé.
Dehors, il pleut. J'ai froid... De toute façon, ici, ailleurs, partout
j'aurais toujours froid. J'observe chaque endroit de la chambre, les
objets s'y trouvant, le corps sans vie de Maman, et la matière me fît
dégoût ; ce monde n'était pas le mien.
D'ailleurs, à personne, je n'avais exigé de naître !




21 mars : Article du Ouest-France (Rubrique faits divers)
 
Macabre découverte à Angers

Hier, rue de la Croix-blanche, un jeune homme de 25 ans,
Roland T., s'est donné la mort en s'ouvrant les veines au domicile de sa mère, Madame Jeanne T., septuagénaire retraitée, et propriétaire du pavillon qui fut le théâtre d'une scène plus qu'« estimée
horrible » selon l'expression du commissaire Lemasson. En effet, le corps de l'homme fut retrouvé auprès de celui de sa mère, décédée au préalable (elle, de mort naturelle), le visage enfoui dans les entrailles de sa génitrice qu'il avait éventré avant de se tuer à son tour.
Rien de précis n'indique les raisons de cet acte sanguinaire, excepté peut-être que les rapports signalent une discorde entre ces deux proches ; discorde qui les aurait éloigné l'un de l'autre durant plusieurs années. Le garçon, aurait-il voulu se réinstaller dans sa vie utérine ?... De plus, le voisinage de la défunte affirment n'avoir jamais été informé de l'existence de ce fils.
Aucune ombre d'homicide ne plane sur ce pourtant noir dossier, mais une enquête reste cependant maintenue et exigée du parquet, celui-ci indubitablement offusqué de l’acte.   

Laurent Lafargeas, 1987
ed.4.07.2008.

 
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