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  • Réac, atrabilaire, mais non sans expérience le justifiant. Sens de l'humour permanent, mais hélas sens de la réalité qui s'échappe de jour en jour. Par contre, même houleux, j'aime bien les échanges de point de vue. Et sur tous les sujets.
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11 avril 2016 1 11 /04 /avril /2016 12:23

Rouge

 

Voulant distinguer le bien du mal, désirant comparer

l’éden au purgatoire, il ne put les différencier que

par la température de leur bain.

 

Au départ, le réel c’était moi ; l’irréel, le monde qui m’entourait.

Disons que je savais où je me trouvais, où je m’activais, et voire même où je me désactivais progressivement, à mon insu parfois, mais toujours sans perdre une once d’arbitrage quant aux événements externes.

Je veux dire là, que malgré ma cohabitation avec cette multitude de désespérés, je n’en maintenais pas moins mes pieds fermes au sol

 (j’en demeurais convaincu). Le plus souvent, le réel - et j’insiste - c’était moi. Moi qui le suis resté d’ailleurs !… En attendant, moi qui croupissais au fond d’un sinistre divan - du moins ce qui ressemblait à cela - ; croyez-moi, une mauvaise combinaison existentielle, car davantage je me répugnais de mon oisiveté autant que de l’ensemble de ces heures défilant les unes derrière les autres, toutes encore plus inutiles les unes que les autres. Sans cesse, le dégoût de mon attitude déclarait  une guerre froide à mes pitoyables phases de confort.

Disons, qu’en permanence, j’exécrais mon état…

Enumérons ici mes comparaisons animales : celle d’un mouton, par exemple ; un mouton qui fuirait je-ne-sais-quoi ?... : un loup probablement, l’abattoir certainement ! Un taureau au terme d’une longue et sanglante corrida, aussi une sorte de bison noir, fourbu, avachi par ce qu’il serait judicieux, voire honnête et perspicace de nommer la poursuite. Redisons-le, la poursuite d'on-ne-sait-quoi, d'on-ne-sais-qui ?…

Enfin, j’étais quelque peu épuisé, sans attrait, tous mes côtés inventifs stérilisés par une succession d’impasses. Pour décrire plus exactement la situation, les autorités militaires m’éloignaient de toute aisance et sérénité matérielle ; et cela depuis plus d’un an déjà.

Donc, l’évadé que j’étais ne pouvait que circuler dans des arènes de fausses sincérités.

Oh ! puis à quoi bon en réfléchir et en épiloguer davantage ?

Ne souhaitant pas subir, je me suis marginalisé peu à peu ; plus que je n’aurais dû, cela restait à prévoir…

De toute façon, je ne regrettais rien, car étant resté fidèle au respect de mon esprit  - de ses décisions -, pas l’ombre d’une autre cause ne méritait d’être défendue, ni même de s'entendre.

Lutter et résister à l’abnégation que dicte la soumission, de ceci, il en est fort question - concept que je préconisais du reste.

Ainsi, je n’offrais aucune résolution à vouloir obtempérer, aucun désir de concéder - même provisoirement - une partie de ma liberté.

D’autant que je reconnaissais cette dernière, à cette époque, comme le vrai et l’unique amour de ma vie.

Moi, en uniforme kaki ?…À moi, m’enseigner l’art de tuer en série, le meurtre organisé sans haine préalable ?…

Appelons cela du n’importe quoi !… À croire qu’ils redoutaient une invasion espagnole. Pour ma part, je ne souhaitais plus jamais de rapport avec cette dite république de contribuables, cette infernale administration totalement aveugle sur les carences de sa gestion, lorsqu’elle ne regarde  même pas ceux qui en profitent.

Je l’entends encore ce colonel recruteur breton : « l’armée à besoin de gens comme vous… C'est le devoir de tous citoyens de servir la nation. Également, beaucoup font carrière sous les

drapeaux … »   Voyez-vous cela !…

Persécuté par de telles inepties, convenez-en, mon âge, non mûr, non aguerri  - et c’est peu de le dire -, ce soir, et depuis longtemps, mon âge ne désirait plus rester français. À présent, non dans cet enfer qui lui ressemblait pourtant, à y bien regarder, seule la musique que je percevais aurait pu m’extraire et me faire ignorer ce que devenait mon apparence. Abjecte, pour la minute dont je parle, horrible pour celles qui suivirent.

Bien au contraire, cette musique devint tout autre chose, et je ne pus maîtriser, je dois l’avouer, le déroulement de cette soirée.

Elle devint, cette musique, comme un bourreau en quête d’un condamné. Peu à peu, et je m’égare pour un temps reparler de moi - ce qu’encore j’affectionne le plus depuis -, cette musique, lorsqu’elle me revient en mémoire, et avec elle son harmonium de corbillard, cette musique, ce soir-là, aurait pu devenir une accalmie, voire une brève accalmie du moi. Hélas, les choses furent toutes différentes, mais je ne m’en interroge plus !

Aussi, concrètement, rien ne m’obligeait à rester là.

Dehors, la foule achevait sa dérision quotidienne avant de s’évanouir  à l’approche de la nuit. L’idée de m’y joindre m’aurait fait vomir. Donc, je  restai ! Peut-être finirais-je ici, dans cet endroit, dans ce pub où, voyons-le, je pourrissais déjà.

C’est alors que la fièvre entra en scène et m’ôta tout l’arôme du vin pour ne m’en laisser que la lie (en vérité, c’était de la bière belge).

À son tour, la musique devint complice de tout cela ; ensuite le silence, d’autant plus aberrant.

À présent, il reste clair que la fuite demeurait impossible. Je sentais d’une main qui écoute, et je voyais d’une oreille qui sent. J’étais donc arrivé au plus bas, puis le macabre fut moi.

Rassemblant et organisant les forces qui me restaient, je sortis néanmoins avec à peine de commentaires.

Mais que c’est-il passé pour que mes jambes deviennent aussi peu fiables, pour que mon œil tourne de cette façon ? Que m’est-il arrivé pour que soudain les lois de la pesanteur s’imposent exécrablement comme impossible à respecter ?

Je titube, oui, je titube comme un canard décapité  - voilà encore une autre comparaison animale - ; c’est la soirée pour !  

L’accès direct à l’établissement est séparé de la voie publique par une sorte de corridor. Personne ici ne peut constater mon faible état.

Alors, profitons-en pour réunir davantage de forces.

Il faut regagner le sleeping, c’est sans discussion… Bon ! …, mais ce n’est pas là. Il y a du monde dans les rues, et l’amerloc qui se pointe avec sa grande gueule. 

- It’s cold

- Yes…, it’s cold…

- You stay outside ?…

No…, just a moment…; j’ai besoin d’air.

Bon, il se tire…. Mais pourquoi est-il sorti ?

Résumons et tâchons d’analyser mon devenir…Analysons le derrière moi… Bah oui ! faut bien en parler !

Je me suis vautré là-dedans depuis vers 15 heures ; Houssin est arrivé bien après moi. De temps en temps, j’ouvrais l’œil, et c’est en fin de journée que deux types se sont installés à notre table : un autre arabe accompagné d’un grand blond vêtu d’un pull-over parfaitement dégueulasse.

Un américain, sans aucun doute !

Houssin avait l’air de bien connaître l’autre ; ça discutait fort en anglais ! …

Apparemment, ils n’étaient pas venus les mains vides, car une cartouche d'huile fut très rapidement ouverte. On avait fumé de l’herbe toute l’après-midi, et voilà qu’on allait se finir en beauté…

Mais quoi faire d’autre ?…

- You’re french ?

- Yes.

- Do you smoke ?…

- Let’s turn.

À les écouter ces ricains, on pourrait croire qu’ils n’ont que des vertus ; tous des merveilles du monde ! À le voir manier sa dope, celui-ci doit être le fils de Castaneda ou encore celui de Timothy Leary.

En tous cas, ça ne rigole pas. Rien ne va tourner ; c’est chacun son pétard…

Ça fait des lustres que je n’avais pas reniflé cette came.

- Houssin !

- Oui.

- C’est qui ces mecs ?

- Khaled, c’est un copain ; je pieute chez lui, ce soir…, l’autre je ne le connais pas… On s’en bat ; fourni comme il est !

- Bon, je reviens…, je vais chercher une bouteille… Je dois bien ça !

Passant par les toilettes, je subis comme un sérieux malaise. Disons une perte momentanée de l’équilibre indispensable afin d’éviter de pisser à côté du dispositif d’évacuation ayant été prévu à cet effet.

Ce fut donc accompagné d’un soupçon d’indignité, qu’ensuite je croisai les bras vers l’angle du comptoir en attendant qu’on me décapsule mon litre. De là où je me situais alors, je pus distinctement voir notre table et le nouveau scénario qu’on y préparait.

Ledit Khaled, façonnant un joint inédit, parsemait de la blanche sur le tabac déjà manœuvré.

Curieuse façon d’utiliser le produit !…

C’est un peu au-delà de cela que la mémoire m’échappe.

Quatre autres pétards furent distribués ; ça c’est sûr !

Bref ! maintenant faut pas traîner, mon petit gars ; direction le sleeping, j’ai dit.

Nom de Dieu ! j’ai les cannes en rideaux ; il doit y avoir du plomb dans mes reins…Je me croyais plus facile à bouger, et quelle poisse : je mire à peine à cinq mètres !

À ce propos, mon page se trouve à l’est, et je crois bien me trouver à l’opposé.

Ça ne va pas être simple ! Voyons voir ; d’accord, je suis sur Keizers gracht, et celle-là, c’est quoi ?… : Harten straat.

Pas de doute, par là ça mène au Dam, mais dans mon état, le Dam ? puis traverser Walletjes…, faudrait plutôt voir autrement.

Gagnons l’autre canal, et tournons vers l’est. On verra bien plus tard où cela me conduira.

Ah ! c’est la plaie cette ville : une vraie toile d’araignée.

Un labyrinthe infernal : l’œuvre de Minos ! Il y a des jours, comme ça, où je me demande ce que je fais dans ce merdier.

Courtenay-sud aurait été plus reposant, non ?…

La nuit désertait à peine la chaussée, mon avancée, lente et vacillante, fut heurtée à plusieurs reprises. Aussi, peu à peu, tous les néons, toutes les lumières rencontrées devinrent de plus en plus agressives.

Mes yeux, mes jambes exigeaient un lit. Un lit que peut-être je n’atteindrais jamais. Croyez-moi, je n’étais plus autant fier ici qu’au début de cette pitoyable année. Regardons-moi comme un toxicomane doublé d’un alcoolique. Voilà ce que je suis devenu en voulant éviter le service national : une lie, un déchet, une complète épave de la rue, une viande qui ne tarderait pas à se liquéfier avant de se répandre sur le bitume.

Cependant, et malgré la certitude de ce proche devenir, malgré la totale anesthésie à laquelle j’étais sujet, mon intuition me détourna soudainement de cette torpeur quasi-inévitable. On m'épiait ; on me suivait.

Alors, un instant, sans raison définie, mais consciemment, je revins sur quelques de mes pas afin de scruter au mieux l’autre rive du canal que je longeai.

Là, avec beaucoup de difficulté, je pus tout de même apercevoir, circulant dans le même sens que moi, le fameux Khaled. Celui que je venais de laisser officiellement immergé au cœur d’une entière et visible euphorie. À présent, là, il paraissait davantage en éveil, de surcroît indiscutablement redevenu agile. Aucun doute sur l’opération

en cours ! Ce type avait grossi et chargé mon joint d’héroïne pour endormir l’objet de son plan, c’est-à-dire moi ; du moins les trois mille florins stockés en permanence dans mes fouilles.

J’aurais dû y penser plus tôt !

Comment compte-t-il s’y prendre ?… Et bien là aussi je compris assez vite. L’autre, l’américain, il ne doit pas être loin.

Ces deux crapules vont me faire la peau avec le dessein d’engourdir mon blé.

Ah, les pourris !…, ils doivent bien connaître leur affaire.

Au départ, j’avais bien remarqué leurs têtes de malfrats.

Bon ! va falloir ruser ; à deux contre la moitié d’un, je n’ai absolument aucune chance…Je vais me rapprocher du centre. Je ne crois pas qu’ils oseront tenter quoique ce soit au milieu de la populace.

Là-bas, je trouverai bien un autre moyen de leur échapper. Hélas, peut-être savent-ils que je suis déserteur, par conséquent assurés que je ne m’approcherai pas trop des flics ?…

Quelle fiente !… Tiens, le Singel…, je vais le traverser…

Oui, bah, j’avais parlé de flics ; en voilà trois wagons.

Faut faire par ailleurs ; je vais remonter jusqu’au Munt Plein.

Oh, puis après tout, je suis armé. J’ai mon gégêne !

Il y a des minutes quelquefois dans l’existence dont on s’interroge quant aux multiples manières de les transformer. Là, avouons que je n’ai peu de choix. Si je dresse un fidèle bilan de la réalité, la suite demeure des plus limpides. À moins que je n’entame l’offensive dont ils me supposent incapable, ces deux ordures vont bel et bien me butter à un coin de rue.

Le grand blond, le voilà qui va me prendre en tenaille. C’est par devant que celui-là va me présenter sa facture. L’arabe, je ne le vois plus…

D’accord, vous allez m’avoir, mais je peux vous garantir que ça va être sanglant des deux côtés…

La suite et fin de mon exil fut très rapide, aussi moins nébuleuse que l’avait été le début de cette soirée.

Un crachin glacial s’était peu à peu transformé en pluie beaucoup moins fine. Ce qui dépeupla presque soudainement les trottoirs de la ville.

Hâtant mon pas en empruntant une rue sur ma droite, je m’introduisis tout aussi promptement à l’intérieur d’un hall providentiel, très étroit et obscur à souhait.

Malgré que les seuls bruits perceptibles furent ceux de la pluie heurtant le pavé, je devinai cependant le pas de course de mes agresseurs à l’approche, puis plus rien, et durant près de trois longues minutes. Ayant sorti ma lame non discrètement - stupidement donc -, je tremblai à l’idée que ce geste démuni de réflexion avait permis de me localiser.

Oui ! je vibrai comme une feuille de troène sous le poids d’une mouche à laquelle on aurait arraché les deux ailes, et je puis vous  affirmer que ma paranoïa du moment se justifiait sans abus. Je crois bien même que j’aurais pu mourir de peur avant d’autre chose si l’action s’était fait attendre plus que cela. À son ouverture, le vacarme de mon surin  fut l’unique responsable de la tuerie, car l’amerloc l’entendit parfaitement, et pointa sa face de bandit à l’entrée du hall.

Vu mon état, ma célérité fut surprenante.

 Dans la pénombre, si lui retenait son avancée, moi, de mon côté, je fus beaucoup moins hésitant. De cette œuvre spontanée,  je ne peux toujours pas dire aujourd’hui le nombre exact de va-et-vient que j’opérai à l’intérieur du pull-over dégueulasse, mais la crevure qui s’y trouvait s’étala immédiatement sur le sol en m’entraînant dans sa chute. Ici, peu de temps, je fus emmêlé de ce type, agonisant c’est sûr, ainsi que du sang que je ne vis pas dans l’obscurité, mais dont j’eus peine, au-delà de ce hall, à faire disparaître de mes frusques.

Jusqu’au Munt Plein, je ne reçus aucune nouvelle de son complice, et pensez bien que je n’ai pas raconté ma vie aux postes frontières ; aussi qu’il ne m’a pas fallut six mois pour regagner Paris.

 

 

 

Laurent LAFARGEAS, 1979.

ed. 17.05.2010.

 

 

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