L'église Sainte-Opportune de Paris et son quartier (seconde partie)
La rue des halles fut un projet de Napoléon III et de son épouse, l'impératrice Eugénie. Ils eurent cette idée lors de l'un de leurs séjours à Biarritz. L'utilité se basait sur un axe particulièrement significatif de l'architecture du second empire reliant le Châtelet aux futures halles de Victor Baltard. Pour se faire, nombreux artistes furent sollicités pour la réalisation de cariatides ornant la nouvelle rue. Le projet fut voté le 21 juin 1854. Date où les travaux du premier tronçon furent engagés. En 1858, partant de la rue de Rivoli, ce nouvel axe se terminait à la rue des Lavandières qu'elle avait considérablement amputée. La partie ouest de la rue ne fut achevée qu'en 1867. Au passage, le projet avait augmenté la surface de la place Sainte-Opportune, nommée place du cloître Sainte-Opportune jusqu'en 1790. Le décret impérial de 1854 indiquait également que cette place serait élargie à 32 mètres. Ce qui fut fait plus tard, dès 1866, lors de la démolition de la rue des fourreurs.
Cette dernière fut connue entièrement bordée d'habitations dès 1250. Elle était alors nommée rue de la Cordonnerie. Vers 1295, les cordonniers qui l'occupaient, donc, furent remplacés par les pelletiers, mais elle ne prit le nom des fourreurs qu'à partir du XVII è siècle.
Également, la rue Sainte-Opportune fut alignée de son côté impair en faisant disparaître l'hôtel du Petit manteau bleu. Sur la place, à cette époque, nous pouvions s'approvisionner de vin embouteillé, dans l'une des premières boutiques ouvertes par Louis Nicolas. Aussi, dans la bimbeloterie de Jean-Pierre Brun. Aujourd'hui, à l'angle de la rue des halles, nous pouvons voir une statue de Sainte-Opportune, probablement récupérée en notre église défunte.
Outre la rue des fourreurs qu'elle fit disparaître, la rue des halles avait tout d'abord absorbée entièrement la rue de la tabletterie, dans quasi le même temps que Sébastopol engloutissait la rue de la Haumerie, où, jusqu'à la fin du XVI è siècle, se tenait le siège du fief du For aux dames. Quant à la Tabletterie, reconnue de cette appellation vers 1300, elle fut indiquée Tabletterie alias de la cordonnerie ou Sainte-Opportune, en 1495. Obligeant quelques expropriations du côté pair en 1839, elle fut donc anéantie 14 ans plus tard.
L'angle de Saint-Denis et de La Reynie, outre la porte nord de la première enceinte médiévale de Paris, vit la maison où naquit Eugène Scribe, le 24 décembre 1791. Ce dramaturge, librettiste et romancier particulièrement prolifique était le fils d'un riche commerçant de la rue, marchand de soie à l'enseigne du "Chat noir". Le buste de l'écrivain est visible aujourd'hui, à cet endroit. Durant le XIX è siècle, la rue se nommait encore Troussevache, ou rue de la Troussevache, dont l'origine demeure incertaine. Patronyme d'un paroissien de Saint-Leu, Trousse-Vache en deux mots, rencontrés en certains écrits fiscaux, se rapproche ainsi davantage d'un unième val d'amour de Paris. En 1882, alors sectionnée par le boulevard Sébastopol, la rue prit le nom de La Reynie, en mémoire du premier lieutenant général de police, Gabriel Nicolas de La Reynie. Le fonctionnaire qui éclaira les rues de Paris, qui rendit la ville beaucoup plus salubre en réinstaurant la taxe des boues et lanternes de 1509. L'homme ayant inventé le terme de commissaire de police, ayant soi-disant éradiqué la Cour des Miracles. Fin limier qui servit également de procureur dans l'affaire des poisons ou encore celle du complot de Latréaumont.
Finissons notre faible histoire du quartier par la triste mémoire de la rue de la Ferronnerie.
Celle de l'assassinat d'Henri IV, bien entendu. Dans cette rue, voisine des charniers des Saints-Innocents, le roi Saint-Louis accorda aux pauvres ferrons le droit de tréteaux le long du cimetière qui se nommait alors rue des charrons ou encore rue de la Charonnerie (dénomination "Feronnerrie" constatée en 1229). Plus tard, Louis XI accorde cet emplacement aux marguilliers des Saints-Innocents. Alors, peu à peu, les tréteaux deviennent des constructions solides diminuant le passage de cette rue qui constituait une partie de l'axe Est-Ouest de Paris. Un édit du 14 mai 1554 du roi Henri II ordonne l'élargissement de cette rue par la démolition de maintes habitations. Mais, le laxisme du parlement ou autres autorités de la ville tardèrent à l'exécution de ces travaux.
Le 10 mai 1610, c'est le carrosse d'Henri IV, qui fut la victime d'un attentat favorisé par l'étroitesse de la voie empruntée par le roi. Il voulait se rendre du Louvre à l'Arsenal, où était alité d'une grippe Sully, son ministre. Ce drame de l'Histoire est bien connu, mais relatons quelques faits.
Il est environ 16h15, une charrette de grain encombre la voie, un autre hippomobile, chargé de tonneaux, peine à manœuvrer, et le convoi royal est stoppé un instant. Le roi reste calme, enjouée de l'arrivée, demain, de Marie de Médicis, sa dame, et le climat de la saison n'est certainement pas des plus agressifs.
Une considérable partie de son escorte choisit de traverser le cimetière des Innocents pour joindre le carrosse ou,peut-être, dégager la circulation par un autre côté.
Ce fut-là, que l'assassin, François Ravaillac, en profite pour surgir sur le véhicule royal et poignarder notre monarque à trois reprises.
Au premier coup de couteau, Henri s'adresse au duc d'Epernon et dit "Je suis blessé". Ravaillac était monté sur les roues du carrosse, et il avait ici bonne prise pour donner un second coup de couteau, puis un troisième qui sera cependant esquivé par Hercule de Rohan-Montbazon.
De là, Henri sera reconduit au Louvre, le médecin Petit ne pourra rien y faire puisque le premier coup fut porté au cœur, et le roi trépassa comme l'avait prévu son criminel.
Là, ce roi devint vert, mais beaucoup moins galant !
Maintenant, nous savons qu'ils subsistent nombre doutes quant aux réelles motivations de l'assassin. Les grandes lignes de son interrogatoire et de son procès s'entendent sur un acte personnel. L'homme est un fanatique religieux, et son passé le prouve. À Angoulême, il fut exclu des feuillants, puis des compagnons de Jésus pour les mêmes raisons : l'homme est psychologiquement empreint de troubles et de visions.
Venu à Paris pour obtenir une audience auprès du roi (audience qui lui fut refusée par deux fois), il décide d'user de la manière forte. Il acquière ou vol un couteau, mais, hésitant, reprend la route d'Angoulême. À Etampes, il change encore d'avis. Il répare son arme qu'il avait partiellement détruite, et remonte à Paris, cette fois bien déterminé.
Rue de la Ferronnerie, il se laissera soi-disant arrêter sans la moindre résistance, tel un kamikaze. Nous pouvons croire cela, tout comme nous pouvons créditer une autre version qui retarde son arrestation de quelques heures, un peu plus loin, en la chapelle des templiers de la rue des Lombards où il s'était caché.
Et les doutes sont largement autorisés. Une escorte qui s'éloigne, un tueur qui se trouve au bon endroit, puis une agression deux fois renouvelée, une incarcération immédiate en l'hôtel de Retz, et non au Châtelet ; puis la place de Grève seulement quelques jours après.
Il semblerait, qu'avec la torture des brodequins, la Conciergerie eut épuisé toutes les éventuelles complicités. Cependant, rien encore nous interdit de supposer un autre scénario beaucoup plus organisé. La jalousie d'Henriette de Balzac d'Entragues, récemment éconduite, aurait pu armer une vengeance. Aussi, les intérêts de Jean Louis de Nogaret de La Valette, ce duc d'Epernon qui voulait absolument accompagner le roi à l'Arsenal, mais qui ne réagit absolument pas, même au troisième coup de couteau ; ses intérêts, dirions-nous, peuvent également servirent de bons motifs.
Le roi avait plusieurs fois échappé à des attentats ; les criminels toujours occis rapidement, l'usage d'une main fanatique pouvait tenter bon nombre détracteurs, tels les monarques voisins, les obédiences ultra catholiques, ou encore la reine elle-même, comme beaucoup d'apprentis historiens l'ont longtemps laissé entendre. Ce que nous noterons tout de même, c'est que dans le courant de l'année suivant le régicide, les deux nobles précités furent interrogés par le président Achille de Harlay pour faire suite à des accusations émises par Jacqueline Escoman, chambrière de Mademoiselle d'Entragues. Par recoupement d'informations, le tribunal attesta que Ravaillac avait été logée à Paris par un ami commun d'Epernon et d'Entragues. L'enquête aurait dû être conduite plus en avant, mais la flamme Escoman fut vite mise sous le tasseau. Du reste, la chambrière se retrouva emprisonnée à vie pour calomnie.
Comme à son habitude, la justice française clôturait le dossier avec briot.
En marge de cette pénible réalité, remarquons toutes les coïncidences cernant la mort du roi. Tout d'abord, les prévisions de Côme Ruggieri, l'astrologue de la reine Catherine qui, déjà, avait parfaitement prédit la durée des règnes de François II, Charles IX et Henri III, tout comme celle du béarnais (prévision confirmée chez Zamet par Thomassin, un autre astrologue). Ensuite, ces livres occultes, publiés à Francfort, et affirmant qu'Henri IV ne vivrait pas au-delà de 1610. Aussi, la date du 14 mai, juste celle où, dans son édit de 1554, Henri II avait rageusement estimé cette rue de la Ferronnerie trop dangereuse par son étroitesse.
La plus hilare de ces coïncidences, c'est que le meurtre fut commis juste en face d'une auberge à l'enseigne "Au cœur couronné transpercé d'une flèche".
Certes, ce type d'immeuble titré comme l'est un film de Michel Audiard, n'était pas rare à lire dans les rues de Paris ; qu'un roi, le plus volage que notre Histoire ait connu, y vienne pour s'y faire tuer, avouons que la coïncidence ne manque pas de sel.
Du sel nous en trouvons encore en partant de cette rue qui se modifia considérablement par la suite. D'ailleurs, encore aujourd'hui, elle reste exceptionnelle en un genre qui mérite que l'on évoque. De 1669 à 1678, la rue fut élargie et, du même temps, reçut la construction du plus long et le plus élégant immeuble moderne de la ville, côté cimetière. Il semblerait que Louis XIV en fut très fier.
Le XVIII è siècle nous apprend que la rue est une première à noter en matière d'élégance vestimentaire. D'une part, elle est proche de la rue des lingères, d'autre part, le roi, d'avant sa relation d'avec la Maintenon, adore et promulgue cette élégance. Élégance qui deviendra "éternellement" une spécialité parisienne, reconnue internationale.
Ici, c'est un autre centre de Paris, et qui deviendra un vivier de maîtresses royales.
Pourquoi ? eh bien, à cause de la mode.
Outre Jeanne Bécu, notre futur Du Barry qui fut signalée avoir fait ses armes comme trottin chez Labille, en cette rue, remarquons Mademoiselle O'Murphy, dite Mademoiselle de Morphise.
Une dulcinée à faire tourner les têtes les plus ordonnées. À commencer par celle des artistes, comme François Boucher. Ce génie de l'image du temps ; ce photographe du XVIII è siècle qui, sans mauvaises pensées, utilisa cette beauté comme modèle à refaire son Odalisque brune en Odalisque blonde. Ce tableau peint en 1752, et dit aussi Jeune fille allongée, circula en de nombreuses mains, avant de se trouver sous les yeux du roi Louis, quinzième du nom.
Ce dernier exigea faire connaissance avec la réalité. Et, il s'en amusa longtemps. À Versailles, notre demoiselle fut stockée au sérail : le Parc aux cerfs. L'endroit où le monarque forniquait sans officialiser aucune relation. Ce qui n'empêchait pas les mauvaises langues d'invectiver sur les occupantes de ce poulailler inconnu de la cour. De Marie Louise O'Murphy de Boisfailly, René Louis de Voyer de Paulmy d'Argenson écrivait "Elle est de l'ordre des putains par famille et par état". Ce qui n'était pas faux. Irlandaise par son père, elle est notée, tout comme ses sœurs, dans les rapports de Jean Meunier, l'inspecteur chargé, à Paris, de la surveillance des filles et femmes galantes.
Sa mère, Marguerite, n'avait pas non plus un passé de chasteté. Arrêtée en 1729 avec Anne Galtier pour avoir incité un jeune homme au vol de sa propre tante, elle fut un temps emprisonnée au For l'évêque, puis à la Salpêtrière.
Dans son Histoire de ma vie, Giacomo Casanova affirme que ce fut à sa demande qu'un peintre réalisa le portrait de Marie-Louise, et qu'une copie aurait été mise sous les yeux du roi. Fabulation sénile ! Par contre, ce qui demeure probable, c'est que Boucher vendit son tableau au marquis de Marigny, Abel François Poisson de Vandières, lequel excita Louis XV avec son acquisition.
Non sans y laisser une enfant, la petite maîtresse fut chassée de Versailles en pleine nuit, en novembre 1755, avec l'ordre de se marier avec un bon soldat sans fortune, Jacques de Beaufranchet, seigneur d'Ayat, que le prince de Soubise et le marquis de Valons avaient obligé. Avec ce jeune homme dont le mariage fut aussi organisé par la marquise de Pompadour, Mademoiselle de Morphise eut deux enfants : Louise Charlotte de Beaufranchet d'Ayat, morte en 1759, et Louis Charles Antoine qui deviendra général des armées républicaines. Mais avec le roi, elle eut le temps de mettre au monde Agathe Louise de Saint-Antoine de Saint-André, qui épousa René Jean Mans de La Tour du Pin, marquis de la Charce.
Après la mort de son époux, tué à la bataille de Rossbach, la petite maîtresse se remaria à François Nicolas Le Normant de Flaghac, receveur des finances en Auvergne. Par cette union, notre demoiselle devint cousine de la Pompadour, d'une part, et entra dans le monde de la finance, d'autre part. Et, de là, outre cette officielle liaison, notons un retour du roi entre les jambes de la gamine devenue une femme.
Née le 5 janvier 1768, Marguerite Victoire Le Normant de Flaghac sera identifiée comme fille de Louis XV, comme le prouve une rente de 350 000 livres que le roi fit verser à sa mère en 1771. Aussi, par son contrat de mariage d'avec Didier Mesnard de Chousy qui fut approuvé et signé par toute la famille royale. Et encore, plus tard, quand Charles X l'indemnisa annuellement de 2 000 francs.
Quant à Marie-Louise, elle fut un temps incarcérée à la prison des anglaises, sous la terreur, avant de se remarier pour la troisième fois à un député du Calvados, Louis Philippe Dumont.
Elle mourut cependant divorcée, à Paris, en 1814, au domicile de sa fille Marguerite.
Laurent Lafargeas